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rente-quatre jours de mer. Notre bananier, le Northumberland, faisait partie d’un convoi d’une cinquantaine de navires.

Le voyage fut long. Il y eut des malades, bien sûr. Nous dormions dans des hamacs. L’occasion de gros chahuts. Si nous connaissions celui qui était dans le hamac, c’était très amusant tirer sur la corde pour le faire tomber…

Nous essayions de nous distraire comme nous pouvions. L’un d’entre nous, P’tit Jean Gourvenec, ayant fait de la boxe dans son jeune temps, a lancé un défi, il a organisé des combats de boxe entre nous (il a tenté tant bien que mal de nous apprendre ce sport). C’est devenu une attraction très prisée sur le bateau, entre troupes françaises, puis avec les Anglais.


À notre arrivée à Pointe-Noire, en Afrique équatoriale, après des escales à Freetown et à Lagos, je fus séparé de mes camarades.

Il y eut un incident, au changement de tenue. On nous donna chacun une tenue légère : un short. Ils se sont aperçus qu’il me manquait « un morceau » 1, et le médecin m’a dit

– Qu’est-ce que vous faites ici ?

J’avais été accidenté et personne ne l’avait vu jusqu’à présent. En Angleterre, quand nous avions passé le conseil de révision, torse nu et pieds nus, avec le pantalon, le docteur Bristol n’avait rien vu. J’avais marché normalement et j’avais été jugé bon pour l’Afrique et le Service. Alors que le frère d’un de mes camarades, Joseph Monjaret qui avait eu la poliomyélite et souffrait d’une légère claudication fut refusé pour l’Afrique.


Je fus donc affecté à la Batterie de Côte n°3 de Pointe Noire. Puis, comme j’étais chauffeur et que j’avais des notions de mécanique, on m’a envoyé à Brazzaville pour passer des tests de mécanique et mon CAP de mécanicien auto. J’étais logé à la caserne Mangin. Puis je fus affecté à la compagnie auto n°5 en formation à Bangui, au Train des équipages (comme mes camarades du Nord).
Ces camions accompagnaient les unités combattantes avec les ravitaillements en vivres, en pièces de rechange, en munitions, en essence, en provisions, ou effectuaient les transports de militaires quand il y avait des troupes à déplacer.
Notre Train collectait et transportait essentiellement des vivres (du riz, des conserves, du ravitaillement, de l’essence et des pièces de rechange) de Bangui vers le Tchad.
Nous allions parfois dans les missions chercher du riz, et tout ce que nous pouvions y trouver.
Le gros du ravitaillement arrivait de Brazzaville à Bangui par le fleuve. À Bangui, nous le chargions dans nos camions et nous allions jusqu’à Fort-Archambault, à 600 km de là.

À Fort-Archambault, nous devions décharger le ravitaillement dans d’autres bateaux en direction de Fort-Lamy. Mais s’il n’y avait pas de bateau et que c’était urgent, les camions continuaient vers Fort-Lamy par voie de terre (à 1 400 km de là).
En arrivant à Fort-Lamy, il fallait parfois continuer encore vers le désert jusqu’à Faya-Largeau.


Nous n’étions pas une unité combattante, mais notre mission était de préparer les opérations militaires du Fezzan et de la Tripolitaine par la mise en place de ravitaillement et de pièces de rechange dans des dépôts créés antérieurement à l’action sur la ligne de combat.

« Les denrées suivantes entraient dans a composition des rations : biscuits ; corned beef ; riz, légumes secs remplacés par des biscuits dans le cas d’impossibilité de faire du feu ; viande boucanée si possible ; café, sucre, thé, graisse et huile, conserves diverses, sardines, thon (alternées par jour) ; fruits au jus, fruits secs, confitures (à raison d’une boîte ou d’une ration chaque trois ou quatre jours); rhum (pour les européens): 4 litres par mois. Cette dotation élevée s’est révélée très utile 2 . Pas de vin.
Pour la composition des rations, il avait été recherché surtout un volume faible pour une valeur importante en calories. Il y avait également la nécessité de l’approvisionnement en eau : Lourde obligation que de partir avec 15 jours d’eau par équipage et de recompléter cette avance aussi souvent que possible… »

L’épopée Leclerc au Sahara (Préface du Général de Gaulle) – Général Ingold – 1945 – Éditions Berger-Levrault (p11)

Nos étapes étaient toutes trouvées : Nous partions d’un puits pour joindre un autre puits (ils étaient indiqués sur les cartes). Mais parfois, ils étaient à sec ou aux mains des Italiens. Dans ce cas, la tactique de Leclerc, toujours la même, s’est avérée très efficace : il faisait encercler le camp ennemi par 5 ou 6 camions qui ne cessaient de tourner, lancer des salves de mitraillettes ; les Italiens croyant à la présence d’un énorme régiment français, se rendaient. Ils étaient faits prisonniers et nous utilisions le puits, avant repartir plus loin …

Nous empruntions surtout des pistes car les passages carrossables signalés sur les cartes étaient minés ou bien les ennemis nous y attendaient. Et Leclerc essayait de les éviter.

Un soir à l’étape, un de mes copains s’est trompé de poste. Il s’est trouvé devant un puits aux mains des Italiens, seul avec son peloton, sans eau et ne pouvant pas faire demi-tour. Il a mis en œuvre la tactique de Leclerc. Les Italiens ont cru qu’ils étaient très nombreux, d’autant plus qu’ils avaient appris quelques heures plus tôt, par radio, qu’il y avait une attaque des Français. Quand ils ont vu arriver mon copain, ils ont cru que c’était le début d’une colonne. Ils se sont rendus, (en laissant tout leur matériel) alors qu’il n’y avait qu’une trentaine de militaires, et cinq camions… seulement… Mon copain, qui était attendu d’un autre côté, est arrivé en retard à l’étape, mais avec des prisonniers italiens.


À Bangui, la compagnie était dirigée par Paul Flandre, forestier (coupeur de bois) au Gabon et originaire d’Amiens. [Quand mon fils est allé au Gabon pour son service militaire, il y a trente-six ans, j’ai appris que Paul Flandre était devenu ministre de l’Intérieur du Gabon, et l’un de mes chauffeurs, Bamayaco, était chargé du service automobile de la capitale, Libreville.]

Autre anecdote : Quand Leclerc est arrivé au Gabon, il était Capitaine. Mais pour discuter à armes égales avec un Commandant, il s’est collé un galon supplémentaire. Dès que possible, il s’en est confessé à de Gaulle qui lui a dit : « Le galon, vous le gardez ». C’est ainsi que Leclerc a eu son grade de Commandant.


Le Northumberland était un vapeur lancé en 1916.
Quelques informations complémentaires peuvent être consultées sur le site de TYNE BUILT SHIPS.

Début 1942, il nous arrivait d’aller prendre l’apéritif à Fort-Archambault depuis Bangui, à 600 km (ou vice-versa). Nous partions à 9h le dimanche matin, en avion, et revenions le soir. C’était au temps où les avions militaires avaient un certain nombre d’heures de vol respecter. Quand il n’y avait pas de mission particulière à effectuer, Paul Flandre s’était mis d’accord avec le commandant de la base aérienne de Fort-Archambault et des pilotes de Bangui nous emmenaient à Fort-Archambault, au km 14. Nos pilotes étaient des as de l’aviation… Lors d’un voyage, nous avons survolé des éléphants, le pilote a demandé si nous les voyions. Pas très bien, car les hublots étaient petits. Pour obtenir un grand angle, il a retourné l’avion. Nous avons eu la peur de notre vie.

Campagnes d’Afrique


Ces cartes sont des copies des cartes figurant sur le livre.
Une carte interactive a été construite en reprenant les informations reprises sur diverses cartes annotées par Jean Michaux.
Elle est disponible ici.

J’ai été affecté, à 19 ans, comme mécanicien et sous-chef d’une section autos (la deuxième section), sans rien connaître au commandement des hommes. Pas facile du tout.

Dans mon peloton, il y avait cinq ethnies africaines qui ne s’entendaient pas (bien sûr), en provenance du Cameroun, du Bas Congo, du Gabon, du Tchad, et de Bangui.

Nous étions deux Européens et 64 indigènes livrés à eux-mêmes sur des pistes en piteux état. En cas de blessures ou de maladies (dysenterie, paludisme) nous avions recours aux guérisseurs et cela s’est avéré souvent efficace.

Quand nous nous arrêtions dans les villages pour nous reposer, les chefs de village, souvent d’anciens Tirailleurs 3 étaient contents de voir débarquer des Moundjous (Blancs), et en notre honneur, ils organisaient des danses avec tamtam. Alors, au lieu de se reposer, les militaires dansaient tard le soir, et les danses étaient souvent suivies de bagarres au sujet des femmes.

Heureusement que tout le monde parlait français, on pouvait tenter d’arranger les choses. Le lendemain 4h du matin, il fallait lever le camp, ce qui devenait chose difficile…


Nous avions des réserves d’essence dans des fûts et par un système de siphons, nous faisions le plein. C’était donc assez facile de se procurer un peu d’essence. Pour épater les Indigènes, certains mettaient un petit peu d’essence avec de l’eau dans une calebasse et ils allumaient. Une belle flamme jaillissait. Les Indigènes réclamaient des allumettes pour faire de même, ils couraient au fleuve remplir d’eau leurs calebasses, puis y jetaient une allumette enflammée, désespérément… car l’allumette s’éteignait à chaque fois.

Les Indigènes considéraient les Blancs comme des génies. Ils pensaient qu’ils étaient habités par des puissances occultes capables enflammer l’eau.

Pour leur faire plaisir et les épater, fallait donc avoir des allumettes et aussi des lames de rasoir, maintenant, ce sont des stylos à bille !


Que d’aventures, parfois pénibles, parfois pittoresques comme la suivante : Pierre-Olivier Lapie était un homosexuel notoire et, je ne sais pour quelles raisons, le docteur Chavenon n’était pas du tout d’accord avec lui. Un soir, alors que Pierre-Olivier Lapie se plaignait au docteur d’un mal de crâne effroyable, le médecin lui a frictionné énergiquement le crâne, puis l’a bandé avec un chèche, en lui disant :

– Surtout, n’enlève pas ce chèche ! Tu l’enlèveras une fois que tu seras arrivé au mess des officiers !

Quand notre homme s’est décoiffé devant tous les officiers, gros éclats de rire ! Il avait la tête toute bleue. Le médecin l’avait frotté au bleu de méthylène ! Je crois que nous avons failli assister à un duel. Nous étions jeunes, c’étaient d’anciens coloniaux, quelle bonne rigolade !


Dans la compagnie n°5, nous étions avec Jean Lemauf, un missionnaire à Bangui qui faisait partie de notre équipe, mordu de mécanique, engagé dans les FFL, pour la 2ème campagne du Tchad. Le soir de Noël, il me demande :

– Jean, ce soir, je fais une prière dans une grotte du Tibesti, pour la messe de minuit, tu viens ?
– Oui dans la mesure du possible, si j’ai terminé les réparations, je viendrai !

J’étais en train de réparer des camions et de travailler sous un camion, dans le noir avec une lampe frontale. A un certain moment, j’ai eu besoin d’une clé mollette. J’appelle mon boy celui qui s’occupait de ma caisse popotte et de tout ce dont j’avais besoin :

– Issa, apporte-moi la grande clé à molette !

Je ne vois pas mon boy revenir et je l’oublie car je réussis à terminer ma réparation avec une autre clé.

Vingt minutes plus tard, j’entends mon boy :

– Chef, y en a prêt !
– Quoi ?
– Votre omelette !
– Je n’ai jamais demandé d’omelette !
– Si, vous m’avez appelé tout à l’heure pour une grande omelette !
– Ah ! La grande clé à molette !

Il était 11 heures du soir, nous n’avions pas le droit de faire du feu, nous étions en plein désert, il n’y avait pas d’œufs et Issa avait réussi à me préparer une grande omelette avec des œufs en poudre, sans doute ! Quelle preuve de dévouement incroyable ! Sans sourciller, une omelette en pleine nuit ! Je n’en revenais pas ! Mais c’était tous les jours ainsi. Je partais en mission, je l’emmenais si j’avais besoin de lui, sinon, il restait là et gardait mes affaires.

Une autre fois, ce fut moins drôle, il s’agissait d’un nommé Fondji qui avait travaillé sous le camion et avait renversé de l’huile sur ses chaussettes. Il avait observé que nous utilisions de l’essence pour dégraisser nos vêtements. Il a voulu faire comme nous, il a nettoyé ses chaussettes avec de l’essence comme si c’était de l’eau et puis il les a remises sur lui et n’a rien trouvé de mieux que de les faire sécher devant le feu. Tout a flambé. Il a eu les pieds complétement brûlés.


Pour approvisionner les troupes, nous traversions des territoires éloignés de toute civilisation. Nous devions franchir une succession d’obstacles naturels réputés infranchissables :

Les grandes dunes mouvantes que nul engin ne peut escalader ; le fech-fech, terre pourrie où les véhicules s’enfoncent sans remède, jusqu`à la caisse ; le sérir, plateau absolument désolé, parsemé de pierres ou de rocs qui lacèrent les pneus ou défoncent les carters ; la hamada, haut plateau rocheux, décapé par les vents, dépourvu de tout point repère ou encore des régions enchevêtrées par une végétation luxuriante le long des fleuves. Avec ou sans pistes.

Parfois nous devions franchir un pont qui faisait seulement la largeur du camion. Si le camion versait, il ne fallait pas compter sur le téléphone, ni sur SOS assistance, mais bien sur le tamtam, qui, de village en village allait répercuter la nouvelle jusqu’au poste…

Si d’aventure, un pont était arraché, il fallait le remettre en état pour traverser coûte que coûte la rivière ou le fleuve.

Jamais question de faire demi-tour. Il fallait emprunter les bacs… Certaines rivières faisaient trois ou quatre cents mètres de large.

Avec le courant, le bateau ne pouvait pas traverser directement la rivière, sinon, il était déporté. II devait remonter le long de la berge pour éviter les courants et descendre de travers.

Pas de moteur pour ces bacs, les Indigènes pagayaient tout le long de la traversée. Un chef d’orchestre les encourageait en chantant ou en les faisant chanter avec le tamtam.

Pour les gros engins et quand il n’y avait pas trop de courant, les Indigènes mettaient côte à côte cinq ou six pirogues sur lesquelles ils posaient des troncs d’arbres équarris et le camion devait se caler sur ces troncs.

Pour les petits véhicules, ils n’attachaient que deux pirogues l’une à l’autre et plaçaient des arbres équarris dessus, puis le camion à cheval sur les deux. Le moment le plus délicat était la montée sur ce bac de fortune. Avec le poids du camion, les pirogues se soulevaient, l’avant plongeait et l’arrière pointait en l’air. Il fallait y aller ni trop vite, ni trop doucement… Toutes les chances étaient réunies pour que le camion verse… Il fallait un chauffeur assez habile. La plupart du temps on y arrivait ! Incroyable ! Mais pas toujours !

Il nous est arrivé une farce la veille du 14 juillet 42. On était allé chercher du riz, et au retour, quand il a fallu passer le bac, mon chauffeur habituel, un Camerounais aguerri, a pris le volant. Mais, cette fois-là, il a trouvé le moyen de passer par-dessus le bac, et mon camion est resté coincé entre deux pirogues. L’avant du camion s’est enfoncé dans l’eau. Impossible de manœuvrer, nous étions bloqués. C’est là que les tamtams se sont mis en branle, et la communication avec Flandre fut ainsi faite. II a répondu de même, qu’il y aurait une équipe le lendemain pour nous tirer de là. En effet, du renfort est arrivé le lendemain, et on a retiré le camion, sans grue, sans machine, avec le village au complet, lianes et tamtams. Il n’y avait plus un grain de riz, les sacs avaient éclaté et les caïmans s’étaient régalés.


Que d’aventures ! Et souvent dans une ambiance extraordinaire !

En cela, j’ai eu un avantage sur Jacques Bell, et sur Grasberg (ils ont fait du dépannage mais moins de déplacements) ; on peut dire que j’ai eu l’occasion de découvrir plusieurs aspects de l’Afrique. Eux, sont restés au Tchad. Pour moi, ce fût une aventure incroyable, j’ai sillonné toutes sortes de pays, le Cameroun, le Gabon, le Congo Belge, le Soudan, et le Tchad, notamment en vue des opérations du Fezzan.

Fin novembre 1942, après la conquête du Fezzan, nous avons rejoint une dernière fois Bangui pour faire définitivement mouvement vers le Tchad en passant par Fort-Archambault, Fort-Lamy, Koro Toro, Faya-Largeau, point de départ des opérations.

Le moment choisi par le Général était l’hiver, car de novembre à février, la température est inférieure d’une dizaine de degrés à celle qui règne habituellement dans cette région. (Mais il y fait encore 38 à 42° à l’ombre et 60 à 65° au soleil). Il faisait donc très chaud, d’une bonne chaleur africaine.

Au dernier voyage sur Faya-Largeau, nous pris en charge le personnel du GNT, (Groupe Nomade du Tibesti) qui avait abandonné ses chameaux, j’ai donc fait la campagne avec eux.


La première préoccupation de nos chefs avait été d’éliminer tout ce qui brillait au soleil et qui risquait de nous faire repérer par l’ennemi. Ainsi, les parebrises et les vitres avaient été démontés, les camions repeints. Notre commandant, Flandre, qui faisait la revue des premiers camions grossièrement rapidement repeints couleur sable par les indigènes, observa qu’ils étaient encore brillants au soleil et que l’aviation les repèrerait dans le désert. Ne trouvant pas de peinture mate, couleur sable, il pissa dans la peinture pour casser le brillant, et la peinture devint terne !

Les paraboles des phares avaient été peintes également. On avait laissé les ampoules, mais enlevé les verres.

Nous quittâmes le camp, nos camions devenus complètement invisibles dans le sable. Nous roulions de 6 à 10 heures du matin et à partir de 15 heures, l’après-midi, jusqu’à la nuit.

Moi, je m’occupais de l’entretien, des réparations et je suis même arrivé Tripoli fin décembre 42, avec un camion supplémentaire. J’ai dépanné en dernière extrémité, un camion venant d’une autre section avec deux survivants sur cinq, dont Paul Theetten, d’Armentières. Les autres se trouvaient encore dans le camion, décédés, ils n’avaient pas survécu au manque d’eau. Plus tard j’ai revu régulièrement Paul dans le Nord. Son père était marchand de charbon à Armentières. II était l’ami de Joseph Frys et fut délégué à L’Union Française, puis devint député d’Armentières.

Les camions tombaient en panne pour peu de chose. Le plus souvent, le camion s’enlisait jusqu’à la caisse. Par exemple, nous roulions normalement à 80 km/heure sur un bon terrain, puis soudain, le camion plongeait et une gerbe de sable s’élevait devant nous. Nous venions de sombrer dans une veine de fech-fech, (c’était du sable et de la poussière). Et le camion s’enlisait. Il aurait fallu pouvoir avancer en quinconce. Les roues arrière n’auraient pas dû s’engager dans les traces des roues avant qui avaient cassé la croûte de sable (d’environ sept centimètres d’épaisseur). Mais c’était impossible ! Nous avancions autant que possible en éventail.

Quand un camion à roues simples s’ensablait, les tirailleurs sortaient les tôles et les glissaient sous les roues arrière du camion. Le camion passait. Les tirailleurs retiraient les tôles et les remettaient sous le camion suivant… et ainsi de suite pour chaque camion qui ne passait qu’un à la fois. Pour franchir 300 mètres de fech-fech, il fallait compter une journée. C’était aussi difficile que les passages d’une rivière avec un bac. Les tôles que nous transportions dans les camions provenaient des fûts à essence que nous déroulions et allongions après avoir découpé le dessus et le dessous.

« Nos » camions avaient les roues arrière jumelées, et pour rouler dans le fech-fech avec ces camions-là nous utilisions les fameux « kékés » qui étaient une invention du commandant Dubois, d’où le surnom de ce commandant : le capitaine von Kéké. Ce sont des perches de bois de 10 à 15 centimètres de large et de 3 ou 4 mètres de long. Les tirailleurs les plaçaient entre les deux pneus arrière si bien que les roues avançaient sur le bois et le camion ne s’enfonçait pas dans le sable.

Quand le camion était passé, il fallait recommencer l’opération pour avancer et pour les camions suivants. C’était une chaîne continuelle comme avec les tôles.

Les autres pannes courantes étaient les crevaisons. Dans le Tibesti, il y a des pierres et des rochers enfouis dans le sable, visibles ou invisibles. Les pneus étaient cisaillés. Il n’était pas étonnant de changer trente ou quarante roues sur le convoi dans une journée… Parfois aussi, la conduite était acrobatique, les camions devaient slalomer entre les rochers et les ponts arrière se fatiguaient avec les changements de vitesse fréquents. Il fallait les démonter en cours de route.

Quand un camion tombait en panne, durant la réparation, la colonne continuait son chemin. Seul, le camion jumeau attendait. Un camion ne devait jamais rester seul. C’est général Massu qui nous l’avait expliqué lors d’un discours qu’il avait prononcé à notre arrivée à Faya-Largeau, début 42 pour la 2ème campagne : il avait alors présenté les prochaines campagnes et nous avait donné les consignes d’usage. Il avait exposé le futur déroulement des opérations. Puis, il avait resserré son chèche, s’était redressé, avait changé de ton et nous avait regardés solennellement : « A ceux qui passeront, je leur dis : « à bientôt », à ceux qui resteront, je leur dis : « adieu ». » Comme c’était un vieux du désert, nous avons été bien refroidis… Au cours de son laïus, il avait ajouté « Vous roulez avec votre jumeau. Si un camion tombe en panne, il ne faut pas le laisser seul. Vous retrouverez la colonne, le soir au campement de nuit. »

Massu n’était pas général à cette époque.
Précision apportée par A.Godec.


Un permis de conduire en bonne et due forme en 1942

Dans les pages intérieures, détail des habilitations.


Un des problèmes majeurs était le ravitaillement en eau. Nous savions qu’il y avait de l’eau, mais à 35 ou 40 mètres de profondeur. C’était le nerf de la guerre. Quand les Italiens savaient que les Français arrivaient, ils sabotaient les puits.

Les réserves d’eau étaient dans des peaux de chèvres ou de biches et de gazelles, travaillées par les Indigènes et pendues sur les côtés des camions. La viande aussi séchait le long des camions. Après la chasse, nous découpions les bêtes et y faisions sécher les filets roulés dans du sel.

Nous partions avec quinze jours de vivres, mais si le voyage était plus long que prévu, nous devions nous débrouiller. Nous mangions alors du manioc et des poissons séchés et nous chassions chaque fois que c’était possible. On tuait des singes (très bon), des biches, des phacochères, (au goût de sanglier, un fort goût sauvage), des gazelles, même des buffles. J’avais une carabine 10/75 qui pouvait tuer un buffle à 400 mètres.

Les chameaux perdus, déjà morts, on les mangeait sans savoir s’ils avaient été malades ou non.

Au kilomètre 100, de la piste allant de Bangui à Fort-Archambault, nous faisions halte pour nous ravitailler en eau potable, à la source. Inutile de préciser que les conditions d’hygiène n’étaient pas respectées… Nous buvions cette eau sans même la faire bouillir, et nous n’avons jamais été malades… Chaque matin, nous mangions un oignon cru et cela nous servait de pansement intestinal, si besoin…


Nous nous arrêtions chez le père Bajard qui était un chasseur professionnel et dont la belle et jeune femme nous préparait de bons petits plats de gibier ! Nous ne voulions pas rater cette étape.

Le père Bajard aimait discuter avec les convois qui s’arrêtaient pour se reposer et prendre de l’eau. La première fois que nous fîmes étape, j’étais avec Chuiton, un breton de Saint-Renan. Le père Bajard nous a demandé si nous voulions l’accompagner à la chasse. Nous sommes partis avec lui et avec nos porteurs (d’armes) car un Blanc ne portait pas son arme. Mais ce père Bajard avait une technique de chasse toute particulière :

Il marchait, une dizaine de mères derrière son pisteur qui, tel un chien de chasse, humait l’air, observait les traces d’un éventuel passage d’animaux sur le sol ou dans la végétation.

Le père Bajard nous disait de le suivre lui-même, avec nos propres porteurs, en gardant une distance d’une dizaine de mètres derrière lui.

Soudain, le pisteur s’arrêtait, écoutait, baissait, levait main, tout monde s’arrêtait. Le porteur d’armes du père Bajard lui donnait son arme. Mais, en langue indigène que nous ignorions il avait donné ordre à nos hommes de ne pas nous donner les nôtres.

La première fois, nous avons donc fait signe à nos porteurs de nous remettre nos armes. Mais ils avaient disparu. Quand nous avons compris ce qui se passait, nous avons pris peur ; (c’était très désagréable de se retrouver à la chasse aux bêtes sauvages, sans armes !).

Quand nous avons entendu le buffle arriver, puis que nous l’avons vu foncer sur le père Bajard, nous nous sommes précipités vers l’arbre le plus proche que nous avons escaladé à toute vitesse et auquel nous nous sommes accrochés. Personnellement, j’en étais malade.

Le père Bajard, qui avait 70 ans, continuait à marcher à petits pas, tranquillement. II laissa le buffle foncer sur lui, quand la bête fut à deux mètres de lui, au moment où elle allait l’encorner, il fit trois petits pas sur le côté et sans épauler, juste en se retournant, pan ! Avec sa carabine 10/75, il lâcha une balle dans le ventre de l’animal, qui s’effondra ! La bête était éventrée. Nous, nous étions toujours dans l’arbre, avec Chuiton…

Le père Bajard reproduisait ce genre de scène avec tous les militaires qui passaient, il craignait plus les chasseurs imprudents (risquant de tirer à tout bout de champ) que les fauves. C’est pourquoi, il faisait en sorte de nous désarmer.

C’était une méthode éprouvée qu’il a transmise à un grand photographe américain, Ernest Hemingway. En appliquant cette méthode, ce dernier fit des photos magistrales de lion sautant sur lui. C’est son épouse qui, de sang-froid, abattait la bête au moment où elle allait attaquer son mari. Certains de mes copains ont vu la scène !

Tous deux ont publié des bouquins formidables.

Pour ma part, j’ai vu Hemingway (d’un âge fort respectable) en septembre 1942 à Juba. Il remontait vers l’Égypte par le Nil, en tant que journaliste sans doute. Moi, j’étais allé à Juba chercher le colonel Delange, commandant du BM2, qui venait d’Érythrée participer à la deuxième campagne du Tchad.


Il était courant de rencontrer des éléphants marqueurs (ils marquent le chemin avec leurs défenses traînant par terre).

Les cornacs les dressaient et les utilisaient comme tracteurs – pour débarrasser les arbres morts des forêts par exemple.

Quand des éléphants (sauvages) étaient installés sur « notre » piste, nous devions attendre qu’ils veuillent bien se déplacer pour avancer. J’ai même vu le train de Pointe Noire à Brazzaville arrêté pendant deux heures et demie parce que des éléphants étaient couchés sur les rails.

Si un éléphant se relève en battant des oreilles, il faut se méfier, c’est qu’il est prêt à charger.

Dans cette Afrique giboyeuse, du fauve au serpent, nous avons même récupéré un lionceau que nous avons emmené avec nous, dans notre camion :

Nous venions nous arrêter dans un de ces villages de brousse, sur grande place en latérite rouge. Le chef de village est venu me trouver, très bouleversé :« Chef, il y a une femme et son enfant qui ont été tués par une lionne dans les marigots. » J’ai aussitôt rassemblé les gars de mon peloton. Nous avons tendu un piège à la lionne : un jeune chevreau attaché à une corde cachée au bout d’un arbre ébranché plié en deux, de telle sorte que l’arbre se détende au moment de l’attaque que la lionne se trouve pendue dès qu’elle s’est emparée de l’animal.

Des tirailleurs montaient garde. On devait m’appeler quand le piège se déclencherait. J’ai trouvé la lionne prise par le cou. L’arbre s`était redressé, et la bête ne pouvait plus se dégager. Je l’ai abattue.

Une demi-heure plus tard, nous avons vu arriver trois lionceaux et nous réussîmes à attraper l’un d’entre eux qui ne mesurait pas plus de 30 cm de hauteur. Nous l’avons mis dans la cabine du camion. Mon aide chauffeur est resté sur le marchepied pour lui laisser sa place.

Quand nous avons repris la route, un de nos camions est tombé en panne. Je suis sorti pour m’occuper de la réparation. Mon aide chauffeur Issa, est venu me dire :

– Chef, le lion a sauté !

II n’était pas allé loin car il s’était cassé la patte en tombant. Quand nous sommes arrivés à Bangui, je suis allé trouver le docteur Chavenon. Il m’a demandé :

– Alors ce voyage, bien ?
– Oui, mais j’en ai un qui a la patte cassée !
-Tu pourrais être poli !
répondit-il !

Je suis allé chercher lionceau, et il a éclaté de rire ! il l’a soigné. Nous avons gardé le lionceau pendant sa convalescence, puis il a été adopté par toute la troupe…

Un soir, à Bangui, alors que nous étions au restaurant avec ce lion qui ne nous quittait plus et qui était couché près de la table, comme un chien, nous n’avons pas fait attention l’horloge comtoise dont le balancier brillait comme un miroir, juste à hauteur. Soudain, notre lion bondi sur le lion qu’il voyait, il a renversé l’horloge, puis s’est enfui. Nous étions consternés. Avec nos armes, nous avons patrouillé dans la ville, une bonne partie de la nuit, décidés à l’abattre.

Nous ne l’avons pas trouvé.

Je suis revenu dépité, me coucher. Pendant la nuit, j’ai entendu du bruit sous le lit. J’ai regardé : c’était le lion qui était rentré avant moi, à la case.

Le commandant Flandre, qui n’était pas particulièrement amateur de bêtes, n’en revint pas. Émerveillés par sa fidélité, nous avons gardé le lion.

Quand nous avons dû quitter Bangui, en 1942, nous avons confié le lionceau « Doudou » au gars qui restait au camp du Kassaï, Dunez. Lui, restait de permanence à Bangui (où se trouvait sa « fatou », la sœur de Bokassa 4).

Il a gardé le lion jusqu’en novembre 42. Puis il a été nommé à Brazzaville où il a emmené Doudou avec lui. Mais n’étant plus autorisé à le garder dans caserne, il est allé le conduire au zoo de Léopoldville, de l’autre côté du fleuve, à une demi-heure pirogue de sa nouvelle affectation. Il allait lui rendre visite deux ou trois fois par semaine. Mais Doudou ne mangeait qu`en présence de Dunez, sinon, il laissait sa pitance…

Le lionceau apprivoisé lui léchait les mains et se montrait très affectueux avec lui. Un jour, des Américains, en visite au zoo, ont vu la scène. Un Américain a demandé à entrer dans la cage avec lui et à être pris en photo avec le lion. La semaine suivante, ce n’était plus un Américain, mais 10 Américains, Dunez accepta mais se fit payer la photo ! Puis, Dunez a été muté, très loin.

Nous avons appris plus tard, qu’au bout de dix jours, le lion était mort de faim, ayant refusé de s’alimenter.


Pendant toute cette période, la communication était compliquée avec la famille et les amis. La Croix-Rouge avait des difficultés à me remettre les messages. Nous verrons qu’un message envoyé en 1941 a reçu sa réponse en 1943.

L’ensemble des messages « Croix Rouge’ conservés est repris dans cette annexe.

Chaque fois que je changeais d’adresse, je m’arrangeais pour envoyer un nouveau message à ma famille et à mes amis pour qu’ils imaginent un peu ce que pouvait être cette campagne d’Afrique.


Carnet de bord de « ma » campagne d’Afrique


1er janvier 1942, je rejoins la Cie Auto n°5 en formation à Bangui.
Versé à la 2ème section avec un camarade breton, j’ai sous mes ordres 64 indigènes. Comme matériel nous avons 34 camions dont un pour les vivres et accessoires et un pour le dépannage.
Nous parcourons l’A.E.F. du Soudan anglo-égyptien au Congo belge. Pour y prendre en charge vivres, armes et matériel que nous acheminons vers Fort Lamy et Largeau au Tchad en vue des opérations du Fezzan en préparation.

Fin novembre 1942, nous rejoignons une dernière fois Bangul pour faire définitivement mouvement vers le Tchad par Fort Archambault, Fort Lamy, Koro Toro et Faya Largeau, point de départ des opérations.

2 décembre 1942, l’ensemble de la colonne part de Fort Lamy vers le Nord à la conquête Fezzan

30 décembre 1942, prise d’Oumm al-Aranib

4 janvier 1943, prise d’Al Gatrun

5 et 6 janvier 1943, Toute la colonne est bloquée par une tempête de sable

12 janvier 1943, Prise de Mouzouk.
En moins de trois semaines, nous avons fait plus de 700 prisonniers, pris 40 canons, 18 chars de combat et un nombre important d’armes et de véhicules en parfait état.

21 janvier 1943, prise de Mizda

25 janvier 1943, Prise de Tripoli.
Les troupes de Leclerc ont parcouru 4 000 km dans le désert.
Nous faisons jonction avec la 8ème armée du Général Alexander et reprenons notre marche.

10 mars 1943, Ksar Ghilane où nous sommes attaqués et harcelés une journée entière par les forces allemandes, nous sommes sauvés de justesse par l’aviation.

8 mai 1943, les Troupes Françaises entrent dans Tunis.
Les jeunes venus de Londres sont là entourés de vieux coloniaux. Quelle récompense après tant de peine. C’est ensuite un repos bien mérité à Zuara en Tripolitaine.

4 septembre 1943. après avoir vu rentrer chez eux avec tristesse, nos braves tirailleurs du Tchad, Cameroun et Gabon. Nous faisons mouvement sur le Maroc où a lieu la formation de la fameuse 2ème  DB dont les gars du Tchad sont le noyau.

21 mai 1944, équipés du matériel américain ultra-moderne, la DB embarque à Oran pour Liverpool en vue du débarquement.


Le 7 janvier 1943, le Général de Gaulle s’adressait en ces termes au Général Leclerc :

« La victoire française au Fezzan est une étape importante vers la libération et la vengeance de la Patrie. Général Leclerc, sous votre commandement habile et audacieux, les troupes et l’aviation du Tchad ont su préparer méthodiquement et exécuter hardiment une des opérations offensives les plus difficiles de cette guerre… Demain, soyez-en certain, les forces françaises, inspirées par l’exemple et animées par l’esprit des troupes que vous commandez, seront rassemblées pour les grandes victoires. »

Numéro spécial de Caravane – janvier 1948 – p.10

Déjà, à cette époque, les troupes américaines avaient débarqué en Afrique du Nord et le front de Tunisie était ouvert.

Bordj Le Bœuf

Tout le mois de janvier 1943, avec la colonne Leclerc, mon unité participa à l’entrée des Forces Françaises Libres à Tripoli, puis à la libération de Tunis, fin mai 1943. Et j’ai participé au défilé de la Libération de Tunis, avec mes camarades et notamment Constant Montjaret et Gourvenec. Cela, malgré la mésentente entre de Gaulle et Giraud, commandant en chef de l’armée de Vichy, qui ne voulait pas que les soldats de Leclerc et de Gaulle (la Première Armée) défilent à Tunis. Mais Montgomery a exigé que nous défilions avec eux.

Les Allemands et les Italiens ayant quitté l’Afrique du Nord à partir de cette date-là, les Alliés ont pu y stocker du matériel militaire.

Pour éviter les échauffourées entre Français, de Gaulle a fait descendre la colonne Leclerc sur la Tripolitaine vers Zouara et Sabratha. C’est ainsi que je suis retourné en Tripolitaine de juin à septembre 1943, au moment où se formait, non sans difficultés la 2ème DB, suite aux négociations entre les Généraux Giraud, de Gaulle et Leclerc.

À Témara, je fus affecté à la 397ème compagnie.


La 2ème DB grossissait chaque jour de nouveaux effectifs. Elle était rejointe par les Régiments d’Afrique du Nord, les évadés de France par l’Espagne, les déserteurs de l’armée de Giraud, par régiments complets.

Lorsque j’étais à Constantine, (sous couvert de permission), nous avions mission de les rassembler. Nous leur donnions rendez-vous dans un camion qui se trouvait derrière un cinéma. Lorsqu’une quinzaine de soldats étaient montés dans le camion, nous les emmenions au Kroubs. Et de là, je leur faisais des faux-papiers, des titres de permission, à leur nom, au cas où ils auraient été arrêtés. Puis mon service les menait vers Zouara et Sabratha où ils s’engageaient avec Leclerc.

Ils déferlaient de partout. Tous les soldats voulaient entrer sous les ordres de Leclerc

Le Général Leclerc a réussi à former une unité de combat avec des hommes et des officiers résolus à se battre, avec du matériel efficace. En effet, le matériel américain commençait à arriver par Casablanca. Finies les randonnées dangereuses à travers le désert. La guerre mécanique, scientifique, motorisée allait commencer, avec la 2ème DB.

Tout au début de la formation de la 2ème DB, en perm’ à Meknès en 1943, dans la famille Pépin
A gauche, Penny, Michaux, Lominé

Plus de 40 ans plus tard, Jean Michaux retrouve Yvonne Pépin


Puisque le matériel militaire arrivait par bateaux à Casablanca, la formation de cette DB était impossible en Tripolitaine et nous avons été transférés au Maroc par le sud de l’Algérie, jusque dans la forêt de Temara près de Rabat.

Mais certains des régiments s’étaient constitués avec l’esprit de Vichy. Or, Leclerc a voulu marquer le matériel américain avec son insigne : la carte de France avec une croix de Lorraine à l’intérieur, ce que les Vichystes ont refusé. Ils ne voulaient pas intégrer la croix de Lorraine dans la carte de France.

Lorsque nous étions dans la forêt de Témara, Leclerc s’est rendu compte que les officiers de Giraud utilisaient les voitures pour aller faire la fête à Rabat. Leclerc a fait une note de service, interdisant l’usage « sauvage » des véhicules de guerre et nommant un chauffeur par véhicule, il a détaché « ses » hommes, comme chauffeurs. On ne pouvait plus utiliser les véhicules pour des besoins personnels.

Notre unité a été envoyée en patrouille pour effectuer des contrôles. Nous arrêtions tous les véhicules, Les chauffeurs au volant devaient exécuter les contrôles demandés, la vérification de la pression des pneus, le niveau d’huile, etc … Le bilan était signifié dans un rapport avec le nom du chauffeur au volant. Si celui-ci n’était pas « attitré », il était alors convoqué à l’État-Major, et recevait des sanctions, des arrêts de rigueur (même si c`était un officier haut gradé).

J’étais toujours avec Flandre, commandant du GR15, dans l’escadron de réparation. Leclerc lui avait dit. « Si vous trouvez à Rabat des voitures sans chauffeur, prenez-les et ramenez-les à la fourrière. »

Ainsi pendant huit à dix jours, ce fut l’épreuve de force. Leclerc est resté ferme. Il s’est fait respecter.

C’est ainsi que les officiers de Giraud se sont soumis.

Un mois après… discipline était revenue.

Ce n’était pas facile, je connais des Vichystes qui ont tiré sur les gars Leclerc dans le Sud-Tunisien. Il faut reconnaître que ceux qui avaient crié : « Maréchal, nous voilà ! » pouvaient manifester quelque répugnance faire allégeance au Général de Gaulle.

D’automne 1943 à mars 1944, ce fut la formation et l’organisation de la 2ème DB au Maroc, (moi personnellement, j’étais à Témara avec le Général Leclerc) puis en avril 1944, nous avons été déplacés en Algérie pour un séjour à Oran. De là nous avons embarqué sur un navire de guerre, pour une traversée qui dura du 21 au 31 mai, jour où nous sommes arrivés à Édimbourg.


  1. Mon père était cultivateur à La Longue-Rue près d’Hirson. J’ai été pris par une faucheuse l’âge de 11 ans : j’ai perdu un mollet et je fus sauvé par un médecin qui se consacra entièrement à moi pendant trois mois. ↩︎
  2. Utile comme monnaie d’échange et aussi pour purifier l’eau quand les puits étaient trop sales… ↩︎
  3. Indigènes engagés volontairement dans l’Armée française. ↩︎
  4. J’ai eu Bokassa comme tirailleur à Bangui (ville dont sa famille est originaire) pendant trois semaines. Ensuite il a fait partie de la BME. Il a fait toute la campagne d’Afrique avec l’Armée française et s’est fait remarquer pour sa bravoure. Il a fini comme capitaine. ↩︎

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Quelques autres illustrations non reprises dans le livre


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