I


l y a 66 ans comme aujourd’hui, (on est bien le 20 juin 2006, vers 16 h 30…) nous sommes arrivés au sud de la Cornouaille à Penzance.

Sur le bateau, j’ai reconnu l’homme qui m’avait accosté Guillaume Le Coz. Son fils Guy était aussi à bord. Il est resté avec nous en Angleterre où hélas il décéda d’une méningite.

Pendant la traversée, nous avons été accostés au large d’Ouessant par un bateau de guerre anglais. Ceux-ci sont montés à bord et ont fouillé le bateau. À la suite de quoi le commandant de notre bateau a changé de cap. Il filait vers Douvres. Il allait maintenant se diriger vers le sud de l’Angleterre.

Nous étions parmi les premiers réfugiés, pour les FFL (Forces Françaises Libres), quittant la France à partir des côtes bretonnes, qui, sur un bateau de pêche, qui, sur une coque de noix …


D’après le Mémorial national des marins morts pour la France, Guy Le Coz n’est pas décédé d’une méningite, mais est mort pour la France suite à une blessure à la tête reçue alors qu’il portait secours à des civils.

Quand nous sommes arrivés en Angleterre, des cars à double étage nous attendaient, avec des agents de police. Ils nous ont directement conduits dans un asile d’aliénés désaffecté. Heureusement, nous y avons été bien reçus, avec casse-croûte, café et thé, bref, un accueil formidable par les AFAT (Auxiliaires Féminines de l’Armée de Terre). C’étaient des Anglaises, surtout des filles d’officiers supérieurs anglais qui parlaient français parfaitement. Ainsi, il fut plus facile d’accepter d’être dans un asile de fous – même désaffecté. Là, nous n’avions plus aucun contact avec l’extérieur. Nous y sommes restés quarante-huit heures.

Puis nous avons été transférés, en bus, dans un cinéma à Falmouth, toujours sans possibilité de correspondre avec l’extérieur. Ce cinéma servait de salle d’accueil, et notre groupe de Bretons arrivés sur « Ma Gondole » et venant de l’asile était grossi d’autres arrivages – des Belges des Hollandais.

On nous a projeté des films en français sur la guerre et sur l’armée. Nous y sommes restés encore quarante-huit heures. Nous étions bien ravitaillés mais nous dormions à même le sol, entre les banquettes de cinéma. Cet accueil nous consternait … mais peu à peu, nous avons compris que les autorités anglaises avaient leurs raisons. Elles voulaient éviter toute infiltration d’agents au service de l’ennemi.


Puis, direction Londres, en train. Pour gagner la gare, nous avons marché sur les trottoirs, avec nos balluchons, et nous étions accompagnés par des militaires nous surveillant à outrance.

À Londres, nous avons été parqués à Patriotic school, un ancien lycée, toujours sous haute surveillance. Nous avions interdiction d’approcher à plus de deux mètres du mur d’enceinte. De l’autre côté du mur, des Anglais qui savaient qu’il y avait des jeunes venus de France, nous jetaient des paquets de cigarettes et des tablettes de chocolat avec des friandises. Les militaires anglais qui nous encadraient les ramassaient et vérifiaient s’il n’y avait rien de compromettant à l’intérieur, avant de nous les remettre.

Nous avons subi quantité d’interrogatoires successifs et répétés pendant une semaine :

– Vous venez d’où ?
– De Sainghin en Mélantois !
– Combien y a-t-il d’habitants ? Comment s’appelle le maire, etc. Vous avez combien de frères et sœurs
– Cinq sœurs et un frère !
– Quel moyen de locomotion avez-vous utilisé pour arriver jusqu’ici ?
– En voiture jusque Dinard, etc…
– Dans quel but ?
– Continuer avec de Gaulle !

On repartait avec les copains et deux ou trois heures après, l’interrogatoire reprenait, avec les mêmes questions, ou d’autres, dans un ordre différent, par des personnes différentes :

– Vous aviez deux frères et deux sœurs, n’est-ce-pas ?
– Comment s’appelait le maire de votre village ?

Ils nous tendaient des pièges pour voir si les réponses aux interrogatoires coïncidaient. Nous eûmes à subir au moins cinq interrogatoires sur trois ou quatre jours. Le temps de voir si on se contredisait. Bien entendu, j’ai toujours dit même chose, sinon j’aurais été mis sous surveillance avec ceux qui se coupaient.


Nous avons été transférés à l’Olympia le 4 juillet 1940.

Des officiers français nous ont expliqué les intentions du Général de Gaulle. Pourquoi et comment il comptait continuer la guerre. Il était alors peu connu et on ne savait pas encore si les Anglais accepteraient ses projets.

De Gaulle voulait maintenir la France dans la guerre, matérialiser la mystique de la France Libre Combattante en portant à tout prix chez l’ennemi des opérations offensives françaises, partant d’un territoire français. 

Épopée Leclerc au Sahara – Général Ingold – Préface du Général de Gaulle – Éditions Berger-Levrault – Avant-propos page XI

Et cela, il ne pouvait le réaliser qu’en Afrique.

À l’issue de ces journées de formation, trois possibilités nous furent offertes : le retour en France, le travail dans l’industrie anglaise ou l’engagement dans les Forces Françaises Libres (FFL).

Parmi nous, certains revenaient de Norvège, et, sans nouvelles de leurs familles, ils n’ont pas voulu rester en Angleterre ; d’autres, des civils, arrivés par Dunkerque, restèrent travailler en Angleterre comme civils ; d’autres encore ont voulu faire demi-tour, ils ont été refroidis quand ils ont compris qu’il faudrait vraiment se battre. Bref, tous ne se sont pas engagés dans l’armée…

40% choisirent l’engagement dans les FFL. J’étais de ceux-là.

À l’Olympia, le recrutement s’est organisé. Visite médicale, arme choisie ou imposée en fonction des formations. D’un commun accord, les 34 passagers de « Ma Gondole » optèrent pour l’Artillerie. Nous étions toujours en civil.

Première page du livret militaire anglais – Cliquez pour l’ouvrir.

C’est que j’ai vu pour la première fois François Philippe. Alors que nous étions les uns derrière les autres, attendant notre tour pour l’inscription, j’ai soudain dressé l’oreille car j’entendais un gars devant moi (deux ou trois personnes nous séparaient). Il disait qu’il habitait Cysoing dans Nord. Je l’ai immédiatement repéré mais n’ai rien dit car je ne pouvais pas quitter ma place. Dès que j’ai pu m’approcher de lui, je lui ai parlé de Sainghin. Il m’a dit :

– Oui, bien sûr que je connais, mon père est notaire à Cysoing, je suis déjà venu plusieurs fois à la « Foire au plaisir »1 de Sainghin, dans le parc du château.


Quelques jours plus tard, les 7 et 8 juillet 1940, les volontaires ont été transférés à Old Dean Camp.

À peine installés là-bas, comme j’étais en train de discuter avec François, un jeune homme s’est dirigé vers nous :

– C’est pas vrai, mais c’est François Philippe !

C’était Jacques Bell, de Roubaix, qui le connaissait déjà. J’ai donc fait la connaissance de Jacques Bell et nous sommes restés ensemble pendant un mois. Il y avait aussi Delmasure dont les parents étaient industriels à Lille, mais qui habitait Gruson (il est décédé il y a deux ans). Bientôt André Grasberg2 se joignait à nous et une solide complicité s’établissait entre nordistes.

Le 11 juillet, nous apprenions que les autorités anglaises autorisaient un défilé à Londres, pour le 14 juillet. Ce fut pour nous, la première manifestation publique et aussi… un souvenir inoubliable.

Actualités Pathé – Défilé du 14 juillet 1940 à Londres
(la deuxième partie concerne le défilé de 1939 à Paris)

La musique de la Légion Étrangère de retour de Norvège, suivie des militaires en tenue, baïonnettes au canon crêpées de noir pointées au sol, ensuite tous les jeunes en civil. Les Anglais, réputés assez froids, furent nombreux applaudir et beaucoup de larmes coulèrent de part et d’autre.

Après le défilé du 14 juillet, un officier ayant choisi le retour en France, s’est adressé à nous :

– Alors les jeunes, qu’est-ce que vous faites ? D’où venez-vous ?
– Nous sommes neuf bretons de Perros-Guirec, de Brest et d’ailleurs et un Nordiste, on s’est engagé !

Il m’a regardé :

– D’où es-tu, dans le Nord ?
– De Sainghin en Mélantois
– Moi, de Tourcoing !

Il a enlevé son ceinturon, a pris son révolver et me l’a donné :

– Tiens, je te le donne, de toute façon ils me le prendront quand j’arriverai en France !

J’ai gardé ce révolver pendant toute ma campagne d’Afrique, et depuis, je l’ai gardé jusqu’au jour où m’a été enlevé. [Retrait des armes – Gendarmerie Cysoing le 15/02/2003].

Tous les cinq ans, je le déclarais à la préfecture. Il y a huit ans, j’ai perdu ma femme, et troublé, j’ai pris une semaine de retard pour le renouvellement de l’autorisation. À la Préfecture de Lille, la fonctionnaire en service (originaire de Péronne-en-Mélantois et dont je connaissais le père, a exigé que je le remette à la gendarmerie. Je fus dégoûté. Cette arme avait fait toutes les campagnes d’Afrique et il fallait que j’en sois séparé à Sainghin-en-Mélantois, pour des tracasseries administratives…

Ce 14 juillet 1940, après la dislocation du cortège, certains d’entre nous furent invités dans des familles qui avaient eu l’un des leurs mobilisé en France.

Le 18 juillet, nous recevions nos vêtements militaires anglais avec l’écusson « FREE FRENCH » sur les épaules, ainsi que tout le paquetage. Les choses sérieuses commencèrent à ce moment-là : maniement des armes, instruction poussée, dans une ambiance exceptionnelle.


Je devais quitter l’Angleterre avec mes camarades du Nord pour le premier départ en Afrique. Mais avant le départ, nous avons été transférés dans un camp d’entrainement où l’on nous a demandé lesquels d’entre nous savaient conduire. Nous fûmes une dizaine à sortir des rangs, dont François Philippe et Jacques Bell. Je vois encore l’adjudant organisant l’épreuve de conduite. Il avait installé des fûts dans la cour pour nous faire faire des marches arrière et toutes sortes de manœuvres. Et moi, chance ou malchance, j’ai « mal » réussi car je suis sorti premier ! Et j’ai été détaché comme moniteur de conduite ! Moi qui n’avais jamais passé permis de conduire !

C’est pourquoi au moment du premier départ pour l’Afrique, je ne n’ai pas suivi André Grasberg. Jacques Bell et François Philippe qui eux, sont partis avec le capitaine Dubois originaire du Nord également, et chef du Train. Ils auraient voulu être dans une unité combattante mais ils furent affectés au Train des équipages parce qu’ils savaient conduire, eux aussi.

Cette photo du Capitaine Dubois et de Philippe Peschaud a été prise beaucoup plus tard, mai 1945 à Klosterlechfeld en Bavière (source: A.Godec).

Le 7 août 1940, par un accord franco-anglais, le Général de Gaulle est reconnu « Chef des Français Libres ». Les 26, 27 et 28 août, le Tchad, le Cameroun, le Congo et l’Oubangui-Chari rallient la France Libre, suivis des Établissements Français d’Océanie, d’Inde et de Nouvelle Calédonie, puis du Gabon en novembre 40.

Les premières opérations sont engagées au Tchad dès l’hiver 1940-41.

Ce Train transportait de tout : des hommes, des bestiaux, des munitions, des vivres, de l’essence surtout. Il l’a fait sur des distances invraisemblables et dans des conditions inimaginables, sur des terrains ahurissants, avec du matériel de type commercial. Il a suivi la route, la piste, des traces, ou même, rien, avec ou sans guide, à la boussole ou au compas solaire. Il a souffert sur les cailloux ou les touffes ensablées, foncé sur le sable porteur ou sur l’exaspérante tôle ondulée. Partis de rien, nous étions devenus très forts.

Extrait de la Caravane n°430, article signé de R.J. Dubois

Eux sont partis sur Dakar et ils ont été séparés au Gabon. Par la suite, Jacques Bell et André Grasberg furent envoyés au Tchad et François Philippe en Érythrée. J’ai su que François et Jacques s’étaient donné rendez-vous au Café Jean à Lille, « quand cette sale guerre serait terminée. »

Hélas, François, après avoir été affecté à la 1ère Armée, fut tué en 1944 à La Crau. Le récit de guerre de Jacques correspond à l’itinéraire de François Philippe, jusqu’au Gabon. La dernière fois que je l’ai vu c’était en Tripolitaine, en 1943, avec un camarade commun, lors d’une messe en plein air. Mon copain s’est retourné, et quand il l’a reconnu, en plein silence, il s’est écrié :

– Oh merde ! C’est bien François Philippe !

Ce fut plus fort que lui. C’était la dernière fois que je le voyais.


Je suis donc resté en Angleterre comme moniteur de conduite (auto-école ! Et même moto-école) au camp.

D’août 40 à août 41, je fus donc affecté à l’Artillerie. Nous étions essentiellement entre Français (surtout des Bretons) et quelques Belges (un nommé Février d’un petit village près de Mons, et Mestdag de Tournai). Je n’ai donc pas du tout pratiqué l’anglais, seulement un peu d’anglais militaire…

J’apprenais aux Jeunes à manœuvrer sur des véhicules articulés venus de Norvège, avec des canons attachés derrière (des LAFFLY, par exemple).

Old Dean Camp, au sud de Londres, était un vaste campement carré comprenant le camp de Morval et celui de Delville.

Il y avait, au milieu, un immense champ de manœuvre où nous nous essayions pour le maniement des armes (le Parad Ground) et de l’autre côté, le camp de Reading. Les camps étaient séparés les uns des autres comme des quartiers. À Old Dean Camp, nous logions dans ces baraquements en bois.

Ensuite nous avons été envoyés à Camberley. Les douches se trouvaient dans un bâtiment spécial et elles n’étaient pas en nombre suffisant, c’est pourquoi elles étaient sévèrement règlementées. Nous y allions les uns après les autres, selon notre nationalité. Les Français à certaines heures, puis, les Canadiens, puis les Anglais, etc… Évidemment, ceux qui parlaient anglais et français étaient favorisés car ils pouvaient resquiller et se glisser plus facilement dans un groupe de langue anglaise. Un nommé Baranger qui était professeur et parlait quatre ou cinq langues, réussissait toujours à se faufiler dans n’importe quel groupe. Je me rappellerai toujours son toupet.

Je le revois également, un autre jour, avec son casque et son masque à gaz, lors d’une manœuvre à « l’école à feu » précisément dans le champ de tir. Il regardait une voiture anglaise arrêtée. C’était celle du Général de Gaulle, en visite dans notre camp, accompagné du roi d’Angleterre et de son aide de camp. Le général observait les cibles qui se trouvaient au loin, à un ou deux kilomètres de là. Soudain, il monta dans sa voiture, prit le volant, démarra, puis cala.

« Autant pour les crosses, mon général ! » 3 déclara Baranger. Le général se tourna vers lui, le regarda avec un petit sourire, puis redémarra.

Nous avons eu deux ou trois visites du Général de Gaulle. En Angleterre, la vie était celle de l’armée française. Nous mangions à notre faim. Il n’y avait aucun problème de ravitaillement, nous puisions dans les stocks qui avaient été rapatriés de Norvège. L’adjudant Baumel cuisinait à la française.


Ma famille savait que j’étais parti à Dinard, mais ignorait que je me trouvais en Angleterre car je ne pouvais envoyer aucune nouvelle de moi. En décembre 1940, à l’occasion de Noël, Maurice Schumann nous a contactés et nous a proposé d’envoyer un message radio à nos familles. Je me suis donc adressé à ma famille, depuis Londres, et certains Sainghinois m’ont identifié. On nous avait invités à ne pas être trop explicites pour ne pas que les nôtres soient inquiétés; J’avais dit :

– Je m’appelle Jean, j’habite un petit village du Nord ; j’ai un frère cinq sœurs; je me souviens de mes promenades dans parc du château avec mes chiennes Diane et Mirette.

Toute l’année 40-41 été marquée par la bataille d’Angleterre. Il y avait des bombardements toutes les nuits, et même parfois, la journée. Je me souviens en particulier d’une escadrille en formation: l’arrivée des Italiens.

Lors de nos marches d’entrainement pendant la nuit, l’obscurité était totale. Ni les soldats, ni les véhicules n’étaient éclairés pour ne pas se faire repérer par l’aviation. C’est ainsi qu’en se penchant pour remettre un lacet, Courivault, un de nos camarades (en photo sur le side-car) s’est fait faucher par une voiture. Il est mort sur le coup, en 1940.


Des notes manuscrites au dos de photos prises à Cardiff précisent que la famille Baker de Llanishen (quartier au nord de Cardiff) accueillait des jeunes permissionnaires français. Cette série de photos est datée du 28 février et 1er mars 1941.

Consignes transmises avec les messages en vigueur dès le début de la guerre.


Un des premiers messages envoyés par Jean Michaux (qui n’a jamais compris pourquoi c’est Madame Gibek qui l’avait reçu).

Cliquez pour accéder à l’annexe sur les messages Croix-Rouge

Les messages Croix-Rouge ont été entre 1940 et 1944 le seul moyen de communication entre Jean Michaux, sa famille et ses amis.
Tous les messages retrouvés de cette correspondance sont repris dans une annexe accessible en cliquant sur le message ci-contre.

En août 41, troisième départ pour l’Afrique. Je participais à ce troisième départ.
Le Général de Gaulle faisait partie du premier convoi en août 40 sur le Westerland, avec mes camarades François Philippe, Jacques Bell et Grasberg. Ils ont fait route sur Dakar où ils se sont fait refouler par les troupes françaises de Vichy qui ont tiré sur eux. De Gaulle avait fait envoyer des plénipotentiaires qui ont été rejetés. Ils ont été obligés de continuer sur Lagos et Freetown.
Il y eut un deuxième départ d’Angleterre pour l’Afrique, en avril 41.
Puis en août 41, troisième départ, dont j’étais (enfin !).


Embarquement à Liverpool le 30 août 1941.

  1. Kermesse de village ↩︎
  2. Grasberg, Israël de son prénom de naissance, originaire de Liévin, avait rejoint l’Angleterre depuis Dunkerque ↩︎
  3. Lors du maniement des armes, si certains soldats faisaient une mauvaise manœuvre et devaient recommencer, la remarque usuelle était : « Autant pour les crosses ! » ↩︎

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Quelques autres illustrations inédites non reprises dans le livre


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