Première partie de cet entretien, relatant l’exode de Sainghin-en-Mélantois à Dinard, évoquant l’Appel du 18 juin, et racontant l’embarquement à Douarnenez sur le ‘Ma Gondole’.
Transcription
Les questions et remarques de Mme Odile Louage sont présentées en caractères italiques bleus.
Les réponses de Jean Michaux sont présenté en texte normal, noir.
Les repères temporels sont indiqués par une balise du type [5:30] toutes les 30 secondes de film.
Oui, bien, Monsieur Michaux, je vous remercie d’avoir accepté d’être filmé pour constituer des archives pour le musée de la Résistance de Bondues.
Donc, je vais vous demander de nous expliquer quelles sont les [0:30] origines de votre engagement, puisque vous vous êtes engagé aux côtés de De Gaulle dès les premiers jours.
Mes origines : premièrement la famille mon père était herbager à Sainghin-en Mélantois dans la propriété de Monsieur et Madame Josson, et, le 17 juin 1, la maman de [1:00] Monsieur Josson m’a demandé si je pouvais éventuellement la conduire à Dinard pour rejoindre sa belle-fille et son petit-fils qui était né le 3 mai. Je lui ai répondu que je ne savais pas conduire à ce moment-là, et elle m’a dit « Bien, je croyais que tu aurais pu faire ça pour moi ».
Je ne sais pas ce qu’il y a eu, ce qui m’a paru bizarre à ce moment-là. J’ai été demander à un monsieur de Sainghin [1:30] s’il pouvait me donner une leçon de conduite, enfin, me faire voir comment on pouvait démarrer cette voiture et puis, nous avons fait combien …, deux trois cent mètres dans le parc du château, peut-être cinq cent mètres, et puis j’ai donné mon accord à Madame Josson. Elle m’a dit « Bon ben pour dimanche, nous partons » et le dimanche 19 mai nous sommes partis de Sainghin : Madame Josson comme passagère avec Jeanne Goguillon comme sa … comment je vais dire, [2:00] son aide, sa gouvernante, sa gouvernante si on veut, et nous sommes partis direction Dinard.
Alors, qu’est-ce qui explique cette décision tout à fait aventureuse que vous avez pris ? Qu’est ce qui l’explique ? Dans votre famille, vous faisiez de la politique ?
Non.
Votre père était engagé dans un syndicat ?
Non, non … j’avais simplement entendu mes parents, au cours d’une conversation, puisque les Allemands approchaient, [2:30] mes parents dire …, enfin mon père avait dit à ma mère « il ne faudrait pas que les garçons restent au contact des Allemands ».
Et quand Madame Josson m’a posé cette question, ben, est-ce que j’ai réfléchi à ça, je ne saurais pas vous dire exactement, j’ai dit oui, et puis voilà, la décision a été prise.
Sur le plan de de votre formation personnelle, vous aviez fait quoi comme études ?
Ben, j’avais été jusqu’au brevet élémentaire.
Brevet élémentaire [3:00] et ensuite vous aviez déjà une activité à l’époque ?
Non, mais enfin, en attendant la suite après la guerre, j’envisageais de prendre des études, enfin de suivre de la mécanique, des études de mécanique, déjà à ce moment-là parce que j’étais accro de la mécanique, voilà c’est ça, et puis c’est ce qui m’a poussé un peu à démarrer, quoi.
D’accord. Donc vous voilà partis le 19 mai 40, [3:30] alors que les Allemands commencent, ah les Allemands approchaient, les Allemands approchaient de Lille, vous voilà partis vers Dinard. Alors dans quelles circonstances s’est déroulé ce voyage ?
Écoutez, les circonstances : encombrements, la panique ! Disons que c’était la panique parce que vous aviez des …, bon à ce moment-là il n’y avait pas tellement de tracteurs, c’étaient des chevaux, des chariots, les vélos, des brouettes, des voitures d’enfants et ainsi de suite … [4:00] et non seulement les encombrements sur la route mais en plus les bombardements et pas de … il fallait le subir à ce moment-là.
Et donc vous, complètement novice, oui complètement novice, je me suis débrouillé puis voilà.
Comment vous avez trouvé de l’essence ?
Ah Ben, l’essence je me souviens avoir fait de l’essence à Bernay, un petit peu après Rouen, et ce jour-là, à Bernay, près de la station essence, [4:30] il y avait un poulailler. Et, le monsieur qui m’avait donné …, qui m’avait fait voir, enfin, la conduite de la voiture, était parti lui le 19 mai de Sainghin, le même jour, avec un camion et, une voiture en remorque derrière, parce que celui qui conduisait la voiture n’avait pas de permis, il ne savait pas conduire non plus. Alors il avait sa voiture en remorque et puis traînait la voiture.
Et au passage à Bernay, [5:00] sur le mur d’un poulailler, les gens qui passaient, marquaient leur nom et disaient, par exemple « Jean Michaux est passé par ici ». Bon, il m’a pris une idée : j’ai marqué « Jean Michaux est passé ». Et le monsieur qui est devenu mon beau-père par la suite, avec sa fille qui est devenue mon épouse, sont passés là. Ils ont regardé les …, ils ont dit « Tiens Jean Michaux est déjà passé ». [5:30] Donc je les avais doublés sur la route sans …, ou alors est-ce que nous avions pris la même route, j’en sais rien, mais à Bernay, à Bernay Monsieur Sonneville et sa fille savaient que j’étais passé à cet endroit-là.
Et nous sommes arrivés le mardi matin à Dinard, gentiment.
Donc, vous avez mis combien d’heures pour faire ces 700 km ?
Bon il fallait compter à peu près 17 à 18 heures de route.
Et vous vous êtes arrêtés de temps en temps ?
Ah oui, oui oui. Dormir dans la voiture, [6:00] ça y a pas de problème. C’était …
Donc c’était déjà une première expédition, une première expédition.
Voilà, vous me disiez que les routes étaient terriblement encombrées jusqu’à Rouen, ah oui, jusque Rouen, et puis ensuite le passage a été plus facile. [6:30]
Plus facile mais malgré tout, quand même, comment je vais dire, il y avait quand même de la circulation.
Il y avait des gens, parce que il y a eu aussi, par ici c’était les belges ainsi de suite qui partaient. Bon, et après Rouen, des gens prenaient différentes directions. Et ça, du côté de Dinard, disons que c’était moins encombré, nettement moins encombré malgré tout que dans le Nord. [7:00]
Donc vous arrivez à Dinard. Alors, qu’est-ce que vous faites à Dinard ?
À Dinard j’ai été accueilli à l’Hôtel de la Mer par la belle-fille de Madame Josson. Et évidemment, je suis resté là, à l’hôtel pendant trois jours. Et ne me voyant pas rester dans ce milieu-là, je suis passé à la mairie pour essayer de trouver du travail premièrement, [7:30] et un logement éventuellement. Et à la mairie de Dinard, on a pris ma demande en considération. Et la dame m’a donné l’adresse d’un logement qui était disponible chez Monsieur et Madame Levavasseur au 17 rue des Écoles à Dinard, et j’ai demandé si éventuellement je pourrais trouver du travail. Elle m’a dit « Oui. Dans quelle branche ? » Je lui ai dit comme chauffeur. Vous manquiez pas d’air ! [8:00] Ben non, je ne manquais pas d’air. Comme chauffeur. Elle m’a dit « Vous avez votre permis ? ». Ben je dis « Non mon permis je l’ai perdu ! » et elle m’a envoyé … elle m’a donné un papier pour aller me présenter chez un marchand de vin dont le fils était mobilisé et il n’y avait personne pour conduire son camion.
Alors je me suis présenté là gentiment, plutôt avec une certaine appréhension quand même. Et quand je suis arrivé il y avait [8:30] le monsieur dans la cour, et il y avait un camion. Alors, je le vois encore, un camion Renault. Il me dit « Voilà, ce serait pour conduire ce camion-là ». Ben de dis « oui mais ce modèle-là, je ne l’ai jamais conduit » . C’était la première fois, je n’étais jamais monté dans un camion.
Alors, il m’a fait voir comment passer les vitesses et ainsi de suite. Je suis monté au volant du camion et il m’a dit « C’est pour le mettre là-bas en marche arrière, pour le mettre à quai pour charger des caisses de vin ». [9:00] Je suis … j’ai mis le camion en route. J’ai fait la manœuvre. Il y avait un S à faire pour me mettre à quai, et quand je suis arrivé à quai, la dame, qui est venue a dit « ben mon p’tit, on voit que t’as déjà conduit » elle dit « parce que mon fils n’a jamais réussi à faire ça d’une seule manœuvre ».
Mais ma pauvre dame, si vous saviez que c’est la première fois que je conduis un camion, hein, et puis je suis parti … c’était l’aventure complète quoi. [9:30] Et j’ai suivi, enfin, j’ai travaillé là, jusqu’au 19 au matin. Alors le 19 … juin. Le 19 juin.
Et alors, qu’est-ce qui arrive ce 19 juin 40 ?
Ah ben, le 19 juin, quand je suis arrivé le monsieur me voit arriver, il me dit « Alors, tu as entendu la radio ? ». Je dis « Non, j’ai pas de radio ». Il me dit « Y’a un général français qui demande à le rejoindre [10:00] en Angleterre pour continuer la lutte ».
Je n’ai, ni répondu oui, ni répondu non. Il m’a mis la main sur l’épaule. Il m’a dit « T’as envie de partir mon p’tit. Si j’avais dix ans de moins, je t’accompagnerais » et puis il est allé à la poche et il m’a donné quelques billets. Je suis passé 17 rue des Écoles reprendre ma valise. J’embrassais les filles [10:30] de Madame Levavasseur qui étaient là, et puis je suis parti dans la direction du port, enfin, tout au moins de la mer.
En descendant Avenue de la Mer, c’est une avenue légèrement en pente, je descendais, et il y a des marins qui poussaient une voiture, un genre de cabriolet vert. Ils s’arrêtent essoufflés. Je vais leur demander ce qu’il y a. « Ben, on voudrait partir et on ne sait pas conduire ». Bon, ils poussaient, [11:00] ils poussaient … Alors je leur ai offert mes services. Je suis monté dans la voiture, j’ai mis la voiture en route et puis direction Brest.
Ces marins partaient rejoindre leurs unités à Brest ?
Ben,c’est-à-dire que oui. Les marins venaient faire sauter les …, comment je vais dire, les réservoirs de Saint-Malo, étaient passés derrière par la Rance, et ils cherchaient à s’évacuer quoi, à se sauver.
Vous avez entendu le discours du Général De Gaulle ? [11:30]
Non, non.
Vous leur en avez parlé ?
Non, non, personne, non. Et direction Brest. En arrivant au port de Brest, un piquet de sécurité. Je n’ai pas pu rentrer avec la voiture. Les marins sont descendus, et il y a un garde qui s’est amené vers moi il m’a dit « Écoute, si tu veux partir en Angleterre … » , parce que j’aurais voulu partir avec les marins , « si tu veux partir, [12:00] va sur Douarnenez, tu auras une chance. »
Je ne sais pas s’il y avait quelque chose d’organisé à ce moment-là, ça m’étonnerait. Et puis, j’ai pris la route de Douarnenez pour … pour le grand départ.
Toujours dans votre voiture verte ?
Toujours dans la voiture verte que j’ai abandonné à l’entrée de Douarnenez. Et puis, je me suis arrêté dans un café pour boire un verre et y a un monsieur [12:30] qui était attablé avec deux ou trois autres personnes. Il est passé à côté de moi. J’étais au comptoir, il est passé à côté de moi. En passant, il me donne un coup d’épaule alors qu’il y avait largement de quoi passer. Et, il s’en va, il sort. Il rentre quelques minutes après dans le café. Il s’arrête près de moi. Il me dit « Tu es des nôtres ce soir ? Quatre heures et demie sur le port. » [13:00]
Alors là, savoir exactement ? J’ai demandé au patron du café ce que c’était. Il m’a dit « C’’est un professeur à l’École Navale, et je crois qu’il organise un départ pour l’Angleterre. »
Alors j’ai repris ma valise et puis je suis descendu vers le port, en cherchant, à Port Rhu exactement. Et là, bien, à quatre heures et demie, cinq heures moins vingt peut-être, j’ai vu des hommes [13:30] en train de charger des caisses. Ils prenaient des caisses, il y avait un tas de caisses sur le quai, et chargeaient sur un bateau.
Un petit bateau, c’était Ma Gondole. Bon. Et un certain moment, je me suis rendu compte que, des jeunes qui prenaient les caisses ne ressortaient pas du bateau. Plutôt que de se passer les caisses de mains en mains, y a des jeunes qui rentraient. Alors j’ai été chercher une caisse puis je suis descendu sur le bateau, et puis [14:00] c’était le départ de la grande aventure, pas de problème.
Vous étiez combien sur ce bateau ?
Eh bien, écoutez, moi personnellement, pour moi, nous étions 34. Bon, maintenant, d’après le papier que vous avez vu, il en aurait eu plus. Mais pour moi, il y avait 34 jeunes, je parle hein. 34 jeunes, enfin 34, disons, clandestins, sans compter l’équipage 2.
Et quelles étaient vos impressions en ce moment-là ?
Ah ben, l’impression, [14:30] à mon avis, aussi bien Jean Lecoz l’ancien préfet, à mon avis personne ne connaissait le … n’avait entendu, au tout moins n’en parlait pas, de l’appel du Général De Gaulle.
Mais vous aviez tous la volonté d’aller en Angleterre ?
Tous la volonté d’aller en Angleterre. Bon moi, premièrement, du fait que il y avait un appel que mon patron m’avait dit qu’il y avait eu un général qui avait lancé l’appel, bah, je suis descendu. Hein je suis parti directement pour [15:00] l’Angleterre avec cette intention là à ce moment-là. Mais au départ de Sainghin, au départ de Sainghin, c’était une aventure comme un … c’est tout.
Vous étiez dans un milieu particulièrement patriotique ?
Pas spécialement, pas spécialement. Donc peut être, je sais pas.
Vous avez répondu et donc, à …
J’ai répondu, c’était …
C’est vraiment une réponse à un appel … [15:30]
Ah oui …
Notes complémentaires
- C’était en fait le 17 mai 1940 ↩︎
- D’après le décompte fait par Pierre Cabellic, repris dans l’annexe consacrée à Ma Gondole, ils étaient au moins une quarantaine de passagers. ↩︎