Troisième partie de cet entretien, relatant l’arrivée en Afrique Équatoriale Française, l’organisation du transport en brousse et dans le désert, la campagne du Fezzan, jusqu’à la création de la 2ème DB en 1943.



Transcription

Les questions et remarques de Mme Odile Louage sont présentées en caractères italiques bleus.
Les réponses de Jean Michaux sont présenté en texte normal, noir.
Les repères temporels sont indiqués par une balise du type [5:30] toutes les 30 secondes de film.


Oui, en Angleterre, j’étais bon pour le départ en Afrique. [0:30] Et malheureusement, à l’arrivée à Pointe-Noire, quand nous avons quitté la tenue militaire, le short … Pour mettre le short, on s’est aperçu que j’étais pas normal, et puis …

À ce moment-là, j’ai été, bon, j’ai vu passer … partir mes camarades, et moi j’ai été affecté à la batterie de côte numéro 3 avec le capitaine Chaille1. [1:00]

Vous ne nous avez pas dit combien de temps vous avez mis pour partir … vous êtes parti d’où, d’Angleterre ? de quel port anglais ? Liverpool Liverpool et vous avez 34 jours de mer 34 jours de mer.

Vous avez fait des escales ? Oui, à Freetown, Freetown et Lagos … au Sierra Leone euh, escale sans sans  descendre sans descendre hein, [1:30] nous étions en rade. Oui, mais alors le c’était les convois, je sais pas moi, il y a une trentaine de bateaux peut-être, qui descendaient sur l’Afrique, et puis avec alertes, alertes aux sous-marins, alertes à l’aviation et ainsi de suite. C’était, c’était vraiment, bon tout le … nous avions chacun notre tour de garde un peu partout sur le … sur le bateau sur le bateau pour dire de …

Et vous n’avez pas eu d’incidents ? [2:00] Non, il y a eu il y a eu, il y a eu un accident, mais enfin, pas chez nous. Nous étions sur le Northumberland à ce moment-là.

Oui, alors que De Gaulle est descendu sur le Westerland pour le, pour Dakar.  

Oui, l’année précédente. Donc vous arrivez à Pointe-Noire. Malheureusement on va vous verser[2:30] dans les services auxiliaires. Oui, services auxiliaires.

Ben oui, parce que malgré tout j’étais avec les copains depuis un an, oui c’est ça … hein avec des copains avec qui je suis encore en contact d’ailleurs, oui, oui , et, j’ai eu mal au cœur de les voir partir. D’autant plus que je me trouvais là dans un pays inconnu. J’sais pas, ça fait une drôle d’impression vous savez, quand vous partez dans ça, puis vous êtes seul parmi les noirs, enfin, parmi les noirs, il y avait des européens mais [3:00] … moi, je ce que je voulais c’était rejoindre les copains. oui.

Comme activité ? mais c’est alors la surveillance, simplement la surveillance, mais quand il y a eu la formation de la compagnie auto numéro 5 à Bangui, qui était une compagnie auto qui était formée par le commandant Flandre, [3:30] ils ont demandé s’il y avait des … à ce moment-là ils ont demandé à Pointe-Noire s’il y avait des gars qui avaient le permis de conduire et ainsi de suite, et qui avaient quelques notions de mécanique. Bon du fait que j’avais bricolé pas mal la mécanique en Angleterre, et que j’avais conduit en Angleterre aussi, je me suis porté volontaire. C’est ça, oui. Je suis passé à Brazzaville, donc monté de Pointe-Noire à Brazzaville. oui. [4:00] Et à Brazzaville j’ai suivi …  j’ai passé un test de mécanique auto à la caserne Mangin.

Et vous l’avez réussi … j’ai réussi. Et de là j’ai été affecté directement la compagnie auto numéro 5 à Bangui au camp du Kasaï.

Eh bien, les missions, [4:3,0] huit jours après notre arrivée, après avoir vu …  enfin, été reçus par le commandant qui s’appelait Flandre, Paul Flandre, un gars d’Amiens d’ailleurs et …  et nous a, enfin il nous a … nous étions sept ou huit. Il nous a dit que les … notre mission ça devait être de collecter du ravitaillement à droite et à gauche, des missions de, [5:00] aller dans les, comment je vais dire, dans les ports et ainsi de suite pour chercher du matériel.

Il y en a qui allaient chercher du bois en … il y en a qui sont partis au Gabon pour aller chercher du bois par exemple, chez Paul Flandre qui était coupeur de bois, et il avait mis à la disposition de l’armée, il avait mis la disposition de l’armée, des stocks de bois pour pouvoir … parce que les camions que nous avions à ce moment-là étaient arrivés en châssis nu, [5:30] et il fallait faire des caisses. Donc il y a une équipe qui a fabriqué les caisses de camions et moi il y avait, je sais pas, il y avait peut-être huit jours que j’étais là, il m’a appelé. Il m’a dit « écoute, tu vas partir en mission » et à ce moment-là c’était partir à Berbérati.

Oh, c’est à 400 km de Bangui. [6:00] Et il m’a dit, de toute façon tu pars avec l’équipe. Bon,h mon équipe, j’avais une trentaine de … attendez je ne dis pas de bêtises, ça devait être 38 bonhommes que j’avais. J’avais des chauffeurs, boy-chauffeurs, et puis j’avais un aide mécanicien nommé ‘Dhuile’2 qui était un … sa mère est africaine et son père était … donc il était un métis,  un métis. Son père était français et sa mère africaine. [6:30] Et, c’étaient des tirailleurs…  Ah des tirailleurs…  sénégalais ou ce qu’on appelait des tirailleurs … c’étaient des troupes noires. C’étaient des troupes noires, mais il y avait des saras, j’avais des saras, j’avais… des ethnies… Il y avait 4 ou 5 ethnies différentes. J’avais des Camerounais j’avais des Gabonais, des Saras, hein, il y avait de tout. C’était le problème d’ailleurs. J’imagine, oui.  Non, je ne sais pas si vous vous rendez compte, [7:00] mais un jeune de vingt ans, auquel on confie pratiquement la commande de quarante personnes, quinze camions, et puis on l’envoie 500 km, 5 – 600 km en mission, dans un pays qu’on ne connaît pas, sans savoir exactement la route ? Y a rien, c’étaient des pistes.

Bon les ponts, c’étaient des arbres, je vous l’ai dit l’autre jour, c’était des arbres équarris sur deux faces et puis vous déplaciez soit [7:30] une … pour passer les camions il fallait une certaine largeur. D’autres ponts, il y avait trois arbres. Il y en avait un … enfin il y avait un passage pour les voitures légères, ce qu’on appelait les pick-up à ce moment-là. Et il y a le deuxième passage pour les camions. Bon, si vous aviez malheureusement un chauffeur… maladroit maladroit, si le camion butait dedans, eh bien c’était tout un… mais alors, pas de tracteur de dépannage, absolument rien. Il fallait se débrouiller [8:00] avec les moyens du bord.  Tout se faisait par le village, ou les tirailleurs, tous à la corde et le tam-tam et les chants. Inimaginable comme…

J’étais brigadier, attendez, j’étais brigadier-chef, je crois. Oui, vous aviez été nommé, oui c’est ça, brigadier…  brigadier-chef non ? oui, oui, c’est ça vous aviez été nommé en décembre 41, [8:30] brigadier-chef. après mon passage à Brazzaville. Donc vous aviez quand même quelques galons. Ah oui, oui, il y a pas de doute. Ben il fallait, oui, oui, il fallait.

Ben les premiers les premiers voyages ça a été. Mais le… quand il a… enfin [9:00] c’étaient des voyages de ravitaillement qui duraient, je sais pas moi, ça durait quatre, cinq jours, huit jours, ça a été, mais alors le grand voyage, c’est quand le commandant Flandre m’a fait appeler, et il m’a dit tu vas partir avec le lieutenant Thiebault3, qui était, comment je vais dire, un monsieur de la région Saint Quentin, par-là – qui est décédé aussi d’ailleurs – très brave garçon, [9:30] et nous sommes partis avec 64 hommes pour aller à Juba pour chercher le BM1 du colonel Delange. Alors je sais pas si vous voyez le voyage que ça représente : Bangui – Juba ça doit faire à peu près 3000 à 3500 km.  

le BM1, le bataillon de marche numéro un, qui descendait de … [10:00] d’Érythrée. Il était commandé par le colonel Delange à ce moment-là.

 Juba, et remonter ensuite sur Fort-Archambault pour … pour déposer le BM1. [10:30]

Alors c’était des troupes qui combattaient, des troupes qui descendaient d’Érythrée

Ils ont fait partie des troupes de Leclerc après. Après.

Parce que quand Leclerc a pris le commandement au Tchad, il y a une certaine … bon … parmi les volontaires qui étaient ralliés au Tchad, il y en a certains qui ont été nommés directement pour l’Égypte et ainsi de suite, [11:00] et ils sont partis par-là, en Érythrée. Et quand la décision de Leclerc d’organiser la 2ème campagne du Tchad, les renforts sont descendus d’Érythrée, sont descendus de Khartoum jusque Juba, et à ce moment-là, de Juba, Fort-Archambault, et ils sont remontés avec la colonne Leclerc pour la 2ème campagne. [11:30]

 Bon, et c’est là qu’une histoire tout à fait personnelle, mais … nous avons eu une partie de plaisir dans le … parce que nous avions pour partir à Juba …  mais c’est pas la peine de le raconter ça.

C’est une histoire de fou. Nous avions un capitaine, un nommé Kouril, qui était … qui devait rejoindre lui l’Érythrée. C’était un diplomate, [12:00] mais il était capitaine. Et, avant de partir de Bangui, nous avions eu une feuille de route et le ravitaillement, la prévision des ravitaillements et ainsi de suite. Bon, et nous avions dans chaque camion, nous avions nos caisses popotes. Et nous avions presque, pratiquement tous les dame-jeanne de vin. [12:30] Et, bon, il était coutume dans ces conditions-là, vous ne preniez pas chacun un verre dans votre bouteille, dans votre dame-jeanne. Bon, on entamait une bouteille, tout le monde buvait, et puis quand la bouteille était vide c’est un autre qui entamait la sienne, et ainsi de suite. Et le capitaine Kouril, on lui avait donné dire le ravitaillement. Il avait … on s’est aperçu, à la première étape que le capitaine Kouril n’avait que du lait [13:00] et une dame-jeanne de vin. Il n’avait rien pris. Pour quelle raison, on n’en sait rien. Donc il s’est nourri … mais à ce moment-là, il mangeait des bananes, il mangeait des ananas et ainsi de suite. Bon, la viande, du fait que nous avions le ravitaillement, il fallait chasser pour se ravitailler, pour avoir de la viande fraîche. Bon il a profité de tous. Mais le vin il a bu pour tout le monde, il a bu avec nous. Mais il ne s’est pas rendu compte, enfin, il n’a pas voulu ouvrir [13:30] sa dame-jeanne. Alors d’un commun accord avec le lieutenant Thiébauld, et Dhuile qui était avec moi, nous avons vidé sa dame-jeanne de vin, en décapsulant bien parce qu’il y avait de la cire et tout dessus. En décapsulant bien, nous avons vidé sa dame-jeanne de vin et nous l’avons rempli d’eau avec du permanganate. Ça fait couleur rouge rosé, mais enfin avec la … et quand [14:00] nous sommes arrivés à Juba, le capitaine Kouril est descendu du camion en portant lui-même sa dame-jeanne de vin, pour la porter sur le bateau, parce qu’il reprenait le bateau qui remontait sur Khartoum. Et nous avons eu des échos après, parce qu’il n’était pas le seul, il y avait deux ou trois autres militaires qui remontaient. Et y en a un qui avait accompagné aussi le BM1 pour la descente. Et quand [14:30] le bateau a redémarré de Khartoum, le capitaine Kouril se trouvait à ce moment-là avec … comment on l’appelait le chasseur américain là …  il y avait un ambassadeur avec lui et puis le …  je ne saurais plus dire le nom. Il a écrit des romans.

Ah si, il chassait avec sa femme, [15:00] c’est un Américain …4

Ça reviendra. Mais enfin ils se sont trouvés sur le bateau, et, une petite table à part. Et à certain moment le capitaine a dit : « Attendez, je vais vous faire boire du vin français » et puis il envoyé le boy chercher dame-jeanne. Ils ont ouvert la dame-jeanne et ainsi de suite. Évidemment, quand il a versé dans les verres [15:30] des Anglais …  et puis ils ont recraché immédiatement. Et puis à ce moment-là, il s’est rendu compte qu’il avait été … Qu’on l’avait eu, quoi. C’est une bonne leçon. C’était une bonne leçon. Oh, comment il s’appelait ? Je ne saurais plus dire.

Donc, vous effectuez toutes ces missions aux ordres, donc, [16:00] de ce commandant Flandre … oui. qui est le responsable de cette compagnie auto numéro 5 … d’accord. Alors qu’est-ce qui vous arrive ensuite ? Vous allez participer à la fameuse bataille du désert ?

Ben, c’est à dire que …  bon, de Bangui, nous prenions … nous allions chercher au fleuve… enfin, les bateaux montaient de Brazzaville à Bangui. Donc ils montaient du Congo Belge, ils venaient sur Bangui. [16:30] Nous prenions en charge l’essence, et tout le matériel qui arrivait à ce moment-là par le bateau, transfert par camion, et nous prenions la route de Fort-Archambault.

Bon, à Fort-Archambault, si la route … si le les bateaux étaient… s’il y avait des bateaux à Fort-Archambault  pour prendre en charge [17:00] pour ensuite monter sur Fort-Lamy, nous déchargions directement sur les quais, si on veut. Sinon, c’était le passage direct de Bangui –  Fort-Lamy. Il fallait assurer le transport. Bon, s’il y avait des bateaux à Fort-Archambault, il n’y avait pas de problème. Mais à ce moment-là, nous avions… c’était un convoi, un convoi d’une vingtaine de camions qui montaient directement à Fort-Archambault  ou Fort-Lamy suivant la nécessité. Bon [17:30] j’en ai monté même jusqu’à Zouar, Faya, Zouar. Là, c’était le … c’était vraiment le désert.

Les camions, c’étaient des camions qui n’étaient pas adaptés. Premièrement nous avions du matériel américain, des Ford, avec deux jumelés. Bon, c’est un fait que ça marchait sur les routes, sur les pistes quand c’était sec. Mais quand c’était la saison des pluies, [18:00] eh bien les camions étaient bloqués, bloqués ou alors il fallait faire des détours. C’est que pour faire une… par exemple, c’est pas moi qui l’ai fait, mais il y a une équipe qui était à Bouar. Pour aller de Bouar à Fort-Lamy, il y a à peu près 400 km5. Eh bien pour accéder de Bouar à Fort-Lamy avec le matériel, il fallait redescendre sur Bangui. Ça faisait ça faisait quelque chose [18:30] comme 17 à 1800 km, pour en faire 400. Mais il fallait avoir le matériel sur place, donc il fallait absolument … et du fait que… il fallait que ça arrive. Il fallait concentrer les troupes, quoi.

des camions qui étaient pas adaptés du tout.

Sur les camions, euh, sur certains camions par exemple, pour le transport de… [19:00] pour aller de Brazzaville, de Bangui à Juba, nous avions sur le côté des camions… le commandant Flandre avait fait adapter des fûts de 200 litres de chaque côté, plus le réservoir d’origine. Ça faisait à peu près 500 litres par camion.

oui c’est un fait, oui mais malheureusement, malheureusement je vous dis, c’était le problème des ponts, [19:30] de ponts et ainsi de suite, quoi. On pouvait très bien rester bloqué à un pont pendant 48 heures. Et puis alors, passer les camions un par un. Et puis alors il y avait les bacs. Je sais pas si vous avez déjà vu le bac, mais ce sont des pirogues qui font 4 – 500 mètres pour la traversée, et ainsi de suite. Et puis ils remontent sur un kilomètre et puis redescendent avec le courant. Ils ne vont passer qu’un camion à la fois. [20:00] Comme vous avez une trentaine de camions à passer, ça vous demande du temps.

Non, à mon avis c’était une belle aventure. Vis-à-vis des camarades qui sont restés à Faya, Largeau, enfin Faya, Zouar et ainsi de suite, Fort-Lamy, moi j’ai vécu une aventure magnifique.

Oh oui j’étais sur les routes sur les pistes…

Population locale ?  Quand vous arriviez, le tam-tam fonctionnait [20:30] à ce moment-là parce qu’il n’y avait pas de portable. Le tam-tam fonctionnait. Bon, je ne dirais pas entre Fort-Archambault … entre Bangui et Fort-Archambault, les gens avaient l’habitude de nous voir passer. Mais quand nous sommes allés à Juba, le tam-tam prévenait les villages aux alentours, enfin sur notre trajet, et automatiquement le village était vide. Nous passions là, des têtes derrière les arbres, c’est tout. Mais on ne voyait personne. [21:00] Et pour s’arrêter, pour faire étape, on s’arrêtait dans un village où il y a des places immenses dans ces … des places en latérite, là. Nous étions là. Le chef de village venait nous voir. Bon, et, automatiquement les gens commençaient à revenir dans le village, parce que … bon, toujours le tam-tam. Les gens venaient dans le village et le chef de village organisait en l’honneur [21:30] des troupes et surtout des Français qui étaient là, il organisait une petite réception. Alors c’étaient des danses et ainsi de suite, et des chants. Et puis ça durait jusqu’à … nous étions arrêtés pour nous reposer et ça durait jusqu’à 9 -10 heures du soir. Hein, et puis, le lendemain matin il fallait redémarrer à cinq heures pour le… Donc, c’était plutôt gênant qu’autre chose, mais enfin, très bon accueil.

Beaucoup de problèmes [22:00] avec mes tirailleurs, et avec les femmes africaines. Ah bon. Beaucoup de problèmes. bon, c’étaient des tirailleurs. D’autant plus qu’il y avait quatre ou cinq ethnies, ça dépendait un peu des équipes. J’avais toujours les mêmes, mais enfin, il y avait, bon, suivant les les parcours, j’avais dix bonhommes avec moi, où j’en avais vingt ou … ainsi de suite. Et automatiquement, en ayant quatre ethnies, qui avaient déjà du mal de s’entendre ensemble, quand c’était question femme ou n’importe dans le village, [22:30] là c’était le … c’était la bagarre. Il y avait des bagarres.

Il fallait vraiment … bon, moi j’avais un Sara, un nommé Djibrine, qui faisait 2m12. C’était Monsieur Chicotte qu’on l’appelait, parce que … vous savez ce que c’est que la chicotte ? non ?  Parce que par-là, il n’y avait pas de punition. Vous avez … un gars avait fait une bêtise, un tirailleur avait fait une bêtise, vous l’appeliez. S’il savait qu’il avait fait la bêtise, [23:00] le gars baissait le pantalon. Et il y avait Monsieur Chicotte, c’était Djibrine. La chicotte s’était un nerf de bœuf, tordu, et puis il y avait cinq ou dix coups de chicotte. ça il ne faut pas faut pas se cacher, ça existait et ça existe peut-être encore maintenant. Et le gars prenait dix coups de chicotte, il remettait le pantalon, il saluait, il disait « merci chef ». La punition était terminée. Il avait eu ses dix coups de chicotte. [23:30] Mais alors, il fallait les tenir. Ah c’était une belle aventure, mais pour un jeune …

Non, 41, enfin … 41. 41, oui. [24:00] Et début décembre 41, là ça a été le mouvement, le dernier chargement sur Bangui et direction de Fort-Lamy pour l’attaque du … pour la deuxième attaque de Largeau, enfin du Tchad.

Non, mais c’est à dire que, il y a eu la campagne … le Tchad, n’en parlons pas, c’était du ravitaillement plutôt qu’autre chose. C’est ça, oui. Ensuite il y avait le Fezzan, Tripolitaine et Tunisie, là, c’était la campagne, carrément la guerre. Vous avez participé. Ah, nous avons participé là, oui.

Ce qui me gêne, enfin, ce qui n’est pas exact là-dessus, c’est que après la … après, comment je vais dire, après le Djebel Garci, quand enfin l’arrêt des opérations a été signé, nous sommes montés sur Tunis pour, pratiquement … sans bagarre, mais pour aller assister, c’était symbolique, [25:30] pour aller assister au défilé de la fin de la guerre, si on veut, enfin de la fin de la guerre dans la région. Dans la région.

Et alors, vous allez participer par exemple ici, on voit que, il y a toute la conquête du Fezzan, vous y avez participé ? oui, oui, oui. En novembre 1942. Et toujours … donc là, on est dans le désert. Oui. C’est plus sous les tropiques, c’est vraiment … ah, dans le désert, oui. Et alors, vous n’avez jamais eu de problèmes [26:00] d’approvisionnement en eau ?

Des problèmes d’approvisionnement en eau, écoutez, l’eau dans le désert ne manque pas. Seulement,  il y a des endroits sur les pistes premièrement il faut les trouver. Faut trouver les pistes. Et, quand vous partiez avec votre réserve d’eau, il fallait absolument arriver, c’était calculé, enfin pratiquement calculé pour arriver au prochain puits. Oui. [26:30] Bon mais si vous aviez des problèmes, soit tempête de sable ou n’importe, eh bien, au lieu de mettre deux jours ou trois jours pour arriver au prochain puits, vous mettiez huit jours. Donc à ce moment-là …  C’était le problème de la boisson, de tout d’ailleurs.

Eh bien … vous avez changé de … oui, ma section, … j’ai fait partie du GNT, oui , Groupe Nomade du Tibesti. [27:00]

Groupe Nomade du Tibesti. Oui, GNT. D’accord. Et alors, qu’est ce qu’il y avait dans ce groupe ?

Dans ce groupe, il y avait encore… nous avons pris en charge du matériel pour eux, enfin, du matériel et des armes et ainsi de suite, et nous avons rejoint le GNT à Oum-el-Araneb6.

Oui, à Oum-el-Araneb. [27:30] Et là, le GNT a abandonné ses chameaux, et a été transféré en camion. En camion. Pour le reste de la campagne.

Oui, le RTST c’était le, comment je vais dire, c’est le régiment de tirailleurs sénégalais. Du Tchad ? Oui, du Tchad. Bon, c’est le … en somme, [28:00] nous avons tous fait partie du RTST. C’est le … c’est les troupes du Tchad en somme. C’est l’ensemble des troupes. C’est l’ensemble des troupes du Tchad.

D’accord. Et, est-ce que vous avez eu un contact direct avec les Italiens pendant cette campagne ? Oui.  ça s’est passé comment ? Passé comment ? c’était la guerre ! C’était la guerre. Donc vous avez participé à des opérations, eh oui, même si vous étiez plutôt spécialisé dans le transport d’approvisionnement.

Ah non, mais là, là il n’était plus question de ravitaillement. C’était le … [28:30] c’était carrément le …

Vous savez, c’était une guerre tout à fait spéciale. Leclerc, par exemple, pour le GNT, moi je me souviens du capitaine Sarazac à ce moment-là. Il avait pour mission d’attaquer un poste italien. Et bien le poste italien, la tactique de Leclerc c’était pas de dire «  je fonce dedans », c’était d’entourer, des escarmouches, se retirer, revenir soit le soir, [29:00] soit le lendemain, et ainsi de suite, jusqu’à ce que les gens en aient pratiquement marre, et ensuite, et bien avec une dizaine de camions, vous tourniez autour du village. Les gens disaient « ça y est, on est pris de tous les côtés ». En réalité, parce que … par exemple, l’histoire de Koufra, il n’y avait qu’un canon, un canon de 75. Qui était commandé par Ceccaldi pour le coup. Bon, il tournait, ce camion là, ce canon était monté sur un camion. Et il tournait autour, [29:30] et même à un certain moment il y a eu des canons portés sur dos de chameaux, et ils tournaient autour du … comment je vais dire, de la place à prendre, pour impressionner. C’était du … à mon avis, c’était du bluff, quoi.

Oui, il arrivait à ses fins.

Leclerc ? souvent, souvent. [30:00]

Formidable !

Il était spécial. Oui. C’était un homme droit. Mais, vraiment à la portée de tout le monde. À plusieurs reprises, nous avons mangé ensemble assis dans le désert, mangé ensemble … [30:30]

J’ai même eu une histoire avec Sarazac et de Daruvar. J’avais sorti de ma caisse popote, j’avais sorti une boite de corned-beef, et je l’avais posée sur l’aile du camion, parce que j’avais oublié de prendre quelque chose avec. Je l’avais posée sur l’aile du camion, et quand je suis redescendu du camion pour reprendre ma boite de corned-beef, il y avait une boîte qui était ouverte et pleine de sable. [31:00] Alors, comme les vivres étaient calculés quand même, qu’il ne fallait pas exagérer, je suis venu à côté du groupe avec l’intention de retirer la partie de sable qui avait au-dessus, puis de manger malgré tout. Et je me souviens avoir dit « si je connaissais le salopard qui m’a fauché ma boite », qui a échangé la boite. Alors, il y a Sarazac qui m’a dit « Mais, qu’est ce que tu ferais ? » et puis il m’a fait signe. [31:30] Et quand le repas a été terminé, j’ai retrouvé sur l’aile du camion une boite de corned-beef propre, non entamée. Alors, Sarazac me m’a jamais rien dit, mais du fait que c’était le général Leclerc qui était à sa gauche, j’ai dit, ça y est, c’est le général qui a fait ça, quoi.

Non, non, vraiment le … on ne peut pas dire qu’on avait de bons rapports [32:00] avec lui, c’était un chef. Il n’y a pas de doute. On avait du respect pour lui. Mais enfin c’était un homme qui se mettait à la portée de tout le monde. Droit.

Ah oui, très accessible.

Ah oui, près de ses hommes.

Ah oui, formidable. Formidable, dans tout le … tous ceux qui ont été sous ses ordres… il était spécial. Il y avait Leclerc, il y avait de Guillebon aussi, [32:30] qui était un chef extraordinaire. Nous avons eu des gars qui ont été … qui sont morts. Et il y avait les Dupont …, le capitaine Dupont que nous avions eu, qui était un chasseur qui revenait de Norvège, qui était à … qui a été tué près de la prison de Fresnes. Il y avait vraiment un état-major sensationnel. [33:00]

Ben la … jusqu’à la fin de la guerre, c’était le … sur Oued El-Kébir. Moi j’étais à Oued El-Kébir quand l’armistice a été signé. Bon, c’était le … sur la ligne d’arrête quoi. Oui.  Les Allemands sont rendus à ce moment-là, [33:30] ça a été stoppé. Et ensuite nous sommes montés, ben je vous l’ai dit, nous sommes montés après la signature, Oui. nous sommes montés pour le défilé de la victoire à Tunis. Oui. Et, il y a eu des problèmes avec malheureusement, avec les troupes que nous appelions nous à ce moment-là les troupes de Vichy.   

Holà. [34:00] au printemps, on va dire au printemps 43 ? Mai, juin, oui mai, juin. Mai, juin, oui.

Vous avez participé aux batailles de Ksar Ghilane ? Ksar Ghilane , ah oui.

Ça a été dur. Oui. Oui, nous avons eu la chance que les … l’aviation a … est intervenue. Est intervenue, enfin à la deuxième reprise. La première, c’était … [34:30] nous devions tous y  … tous y rester là à Ksar Ghilane. Certainement, ça a été un des passages les plus durs de la … de cette campagne.

Ben, l’unité, du fait qu’il y a eu une mésentente avec le … l’armée de … pour nous, c’était l’armée de Vichy à ce moment-là, oui, qu’il y a eu une mésentente, pour éviter les heurts, oui, le général de Gaulle, peut-être le général Leclerc en accord avec lui, a décidé de faire descendre la force L, oui, sur Sabratha. oui, Zouara, [35:30] Sabratha, enfin c’est dans le coin de Tripoli. Et nous sommes restés là deux à trois mois. Trois mois en Tripolitaine. En Tripolitaine, oui, recevant, recevant des troupes déserteurs de chez … de l’armée Vichy, hein. Oui, Parce que moi personnellement, j’ai été avec ma section, j’ai été au Kroubs, enfin avec la section de transport du GNT. J’ai été au Kroubs à quatorze kilomètres de Constantine, [36:00] pour organiser le …comment je vais dire, l’accueil des déserteurs de chez … de Vichy. Nous les récupérions à la sortie des cinémas. Enfin, il y avait des rabatteurs qui portait la … enfin qui portait la tenue, qui était une drôle de tenue malgré tout. Et, certains demandaient par exemple, comment on fait pour rejoindre Leclerc.  Alors, les rabatteurs disaient il y a un camion là, [36:30] vous allez au camion. Et quand il y avait dix, quinze personnes dans le camion, le camion partait de Constantine et venait au Kroubs. Et là c’étaient des faux papiers et ainsi de suite. Et on redescendait, ils redescendaient sur Zabratha.

Donc Leclerc a renforcé ses troupes oui grâce à ses … voilà ses recrues nouvelles. Voila, recrues nouvelles.

Et ensuite Leclerc est parti, [37:00] en août 43, sur le Maroc oui pour créer la 2ème DB.

Alors vous avez fait partie aussi … tout le monde a fait mouvement de Zabratha, tout le monde a fait mouvement sur le Maroc.

A Témara, ils ont cherché de … ils ont cherché des … comment je vais dire. Le Général Leclerc puis les commandants d’unité, par exemple moi c’était Sarazac, et ainsi de suite, [37:30] et Flandre. Du fait que le commandant Flandre commandait quand même le Train, mais que nous étions affectés pour le transport au GNT, au Groupe Nomade du Tibesti, bon, le commandant Flandre a formé une équipe, Train, et il a récupéré, il a récupéré des gens comme moi. Par exemple, y en a qui ont été versé … Leclerc s’est arrangé de façon à mettre des sous-officiers et des officiers un petit peu dans tous les régiments de façon à essayer de créer [38:00] quelque chose d’homogène, quoi.  

Bon, ça n’a pas toujours été évident, malheureusement.

Mais progressivement ? C’est venu progressivement. Les discussions étaient des discussions politiques ou bien ? Discussion politique, pas tellement politique, mais, enfin, ça dépend. Si vous appelez De Gaulle et Pétain, par exemple. Là c’est un fait que il y avait, il y avait les partisans de De Gaulle, les partisans de Pétain. Par exemple, quand la décision a été prise [38:30] de mettre une carte de France sur les, sur les… sur l’insigne. les véhicules, hein sur l’insigne, Leclerc voulait la Croix de Lorraine. Oui. Y a des unités qui pas ne l’ont pas accepté. Ah oui.  Ils ne voulaient pas que la croix … ils voulaient bien mettre une Croix de Lorraine, mais il fallait que la carte de France reste telle que. Oui. Y a que par la suite que la carte de France a été peinte sur la Croix de Lorraine. sur la Croix de Lorraine, oui, c’est symbolique [39:00] enfin mais oui, voilà c’est très significatif de ces positions … ah, il y avait une drôle d’ambiance à ce moment-là.

Instructeur, oui, mais quand repris cette activité … j’ai repris mon activité, enfin mon activité non, parce que quand on a annoncé la formation d’un peloton de circulation routière, avec des motos américaines, avec les Harley-Davidson, ben … [39:30] l’aventure vous a … voilà,  je suis reparti … je suis parti à faire de la moto.

Et voilà, qui est en même temps en liaison avec le …. C’est un … disons que c’est un … C’était polyvalent. On faisait de la circulation routière, on faisait du contrôle. Bon, le … comment on appelle ça, les … la prévôté. Oui. [40:00] On donnait un coup de main à la prévôté parce que la prévôté aussi a eu pas mal de travail du fait que y’avait pas une très forte cohésion.

Il y avait de la bagarre et puis il y avait, il y avait des gars qui étaient engagés avec nous, qui étaient engagés avec Leclerc, mais qui avaient manifestement l’intention de … de jouer les gros bras quoi. Alors, il fallait donner un coup de main à la prévôté. Ça a été … ça a été une période assez délicate. Oui, oui, assez délicate.

Y’avait le matériel, puis y’avait le … bon, la discipline. [40:30] Par exemple, Leclerc ne voulait pas que … que les officiers conduisent les véhicules eux même. Oui.

Alors il interdit … Au bout au bout d’un certain temps, il a fait passer une note de service, mais il se rendait bien compte que sur Rabat par exemple, il y avait pas mal de voitures qui étaient conduites par les officiers et ainsi de suite. Alors avec la prévôté, il nous a mis en contrôle routier, et nous avions des ordres de faire vérifier les … [41:00] les pleins d’essence et ainsi de suite, les niveaux d’huile, la pression des pneus. Nous avions ordre de faire effectuer ça par la personne au volant. Alors évidemment quand vous demandez à un capitaine de regarder la pression des pneus et ainsi de suite, ce n’est pas toujours évident, hein, et au bout d’un certain temps, il y en a plusieurs qui ont refusé. Le numéro du véhicule était pris, l’unité. Et puis automatiquement, il recevait un appel, et il était convoqué [41:30] à l’état-major. Après quinze jours, trois semaines, toute voiture avait son chauffeur, au volant.

Donc on va passer maintenant à la dernière étape de votre de votre … de vos aventures.  Vous êtes …vous êtes à Témara et toute la 2ème DB y reste, et reçoit une mission qui est de repartir pour l’Angleterre et participer … pour le débarquement . au débarquement.


 Notes complémentaires

  1. en fait probablement le Capitaine Cheille(s), d’après mention manuscrite sur le bulletin d’admission à l’Association des Français Libres. ↩︎
  2. ‘Dhuile’, aide mécanicien, nom ou surnom, orthographe non confirmée car pas encore retrouvé dans les listes ↩︎
  3. Lieutenant ‘Thiébault’, orthographe non confirmée car pas encore formellement identifié dans les listes ↩︎
  4. Il s’agissait d’Ernest Hemingway (voir mention dans le livre). ↩︎
  5. En réalité, plus de 800 km. ↩︎
  6. Actuellement orthographié Umm el Aranib sur la plupart des cartes ↩︎
  7. Passage non repris dans le montage de la video, car incomplet ↩︎