Deuxième partie de cet entretien, relatant l’arrivée en Angleterre, les interrogatoires, l’engagement dans les FFL, la formation et le départ pour l’Afrique.



Transcription

Les questions et remarques de Mme Odile Louage sont présentées en caractères italiques bleus.
Les réponses de Jean Michaux sont présenté en texte normal, noir.
Les repères temporels sont indiqués par une balise du type [5:30] toutes les 30 secondes de film.


Eh bien sur le bateau nous étions en cale, et en passant au large de Brest, il y a un marin, enfin tout au moins un membre de l’équipage, [0:30] qui est venu nous dire « Nous sommes partis à temps, les Allemands sont arrivés ». Donc les Allemands venaient d’occuper Brest et certainement qu’ils étaient proches de Douarnenez. Donc à une heure, une ou deux heures près, nous étions morts, nous étions pris.

Et nous avons été accostés au large d’Ouessant. Nous avons été accostés par un bateau, un chasseur de mines, [1:00] enfin je suppose que c’est un chasseur de mine, anglais, avec visite des … comment je vais dire, de l’armée. Ils ont fouillé le bateau et ainsi de suite, et puis, ils ont donné des ordres au patron pour s’orienter sur Penzance au sud des Cornouailles.

[1:30] Là, je ne sais pas moi, près d’une journée … une journée. À mon avis nous sommes arrivés vers trois heures et demie – quatre heures là-bas en Angleterre. Là c’est devenu, c’est devenu vague tellement, tellement surpris. Je ne sais pas parce que, on pense à tout à ce moment-là, hein.

Oui.

Ah non, c’est à dire que, je m’étais promené dans la … oui, un bateau en mer, tout au moins.

[2:00] Ah puis, attention, c’était un bateau qui faisait combien, quatorze – quinze mètres de long, c’est tout. Hein quand même 34 personnes à bord.

Alors à Penzance, enfin dans le petit port où nous sommes arrivés, accueil par  la police anglaise et les policiers avec leur casque spéciaux, [2:30] et sur le quai il y avait un car à double étage qui nous attendait. Il nous attendait, nous sommes montés, nous avons été dirigés sur ce car et quelques kilomètres après une magnifique propriété, j’en vois encore avec une grille en coin.

À l’intérieur du parc, à l’entrée de la propriété, il y avait une voiture avec [3:00] des AFAT, les services auxiliaires anglais, avec casse-croûte et ainsi de suite, et des boissons. Nous avons été dans cette propriété, c’était un asile d’aliénés. Nous y sommes restés quarante-huit heures.

Ben, c’est à dire qu’il y avait d’autres groupes certainement, mais, on ne s’en est pas rendu compte, hein. Bon, nous étions peut-être une cinquantaine de personnes, [3:30] cinquante-soixante, je pense parce qu’il y avait différentes chambres, enfin des salles. Nous couchons à même le sol, sur des paillasses. Mais très bien nourris, très bien…, à mon avis très bien reçus.

Ah oui, oui. On a été pris en charge. Bon tout au moins par les AFAT. L’armée anglaise ne s’est pas occupé de nous à ce moment-là. Il y a l’armée qui s’est occupée de nous pour le transfert de cet asile [4:00] pour aller dans un cinéma. Et dans le cinéma nous y sommes restés aussi quarante-huit heures.

Bon, certainement qu’il y avait un tri déjà à ce moment-là, je ne sais pas exactement ce qui se passait. Nous sommes restés quarante-huit heures dans le cinéma et, après donc ces quarante-huit heures direction Londres, sous escorte à ce moment-là. Nous étions encadrés par des militaires, [4:30] et direction de Londres pour aller à Patriotic School.

Oui le 23 juin, 23-24, oui.

Eh bien, à Patriotic School c’était déjà, [5:00] enfin, c’était surveillé. Là il y avait l’armée qui nous a empêché d’approcher les murs. C’était une école qui est entourée de d’un grand mur. Nous n’avions pas le droit d’approcher à moins de trois ou quatre mètres du mur. Mais au-dessus du mur, au-dessus, il y a des Anglais qui jetaient des paquets de cigarettes et ainsi de suite, pour, certainement sachant que c’étaient des jeunes réfugiés qui étaient là. Et ils jetaient des paquets de cigarettes au-dessus du mur. Mais les paquets de cigarettes étaient pris par l’armée, étaient ouverts, [5:30]  et on nous rendait les cigarettes en vrac, cigarettes ou morceaux de chocolat, ou n’importe, qui étaient …, bon, tout était surveillé quoi. Et il y avait un contrôle, et ils ont commencé à ce moment-là les interrogatoires.

Ben, l’âge premièrement, enfin le nom, l’âge, la situation familiale, la composition de la famille, le trajet suivi, [6:00] dans quel but, et ainsi de suite.

Ben dans quel but, nous ne savions pas exactement à ce moment-là. Parce que personne ne savait encore que le  général …, bon, le général De Gaulle avait lancé un appel, mais nous ne savions pas la suite. Nous ne savions pas si cet appel, bon si premièrement, si les forces françaises libres seraient constituées, on ne savait pas.

Nous étions là [6:30] dans le comment …, dans l’expectative dans l’expectative, oui. Et bon, ces interrogatoires se sont répétés cinq ou six fois mais dans des, sous des formes différentes. Par exemple ils nous disaient, ben « vous avez trois frères ou deux sœurs » et ainsi de suite, alors que vous saviez très bien ce que, la composition de la famille mais ils nous posaient des questions, des questions pièges en somme. [7:00] Et « vous êtes parti en vélo », « vous êtes parti en voiture ».  Il y a des gens qui se sont contredits qui ne sont pas … Il y en a certains qui ne sont pas, bon, qui étaient à Patriotic School, nous les avons plus revus.

Et ensuite nous avons été transférés. Bon à ce moment-là, il y a quand même des envoyés du général De Gaulle qui sont venus pour nous nous dire un peu, enfin nous rendre compte [7:30] des projets du général De Gaulle et ainsi de suite, et les possibilités que nous avions éventuellement, pour nous engager ou, soit continuer notre, le périple et revenir en France, le cas se présentait pour des gens qui arrivaient de Norvège et ainsi de suite, hein qui voulaient rentrer en France. D’autres pouvaient rester dans l’industrie britannique [8:00] donc travailler en Angleterre, et pour notre cas, c’était soit l’engagement dans les troupes dans les Forces Françaises Libres.

L’engagement militaire.

Or nous n’étiez pas particulièrement … absolument pas … préparé à ça. Absolument pas, non.

Oui – oui – oui, parce que le … [8:30] comment je vais dire, l’amitié s’est nouée dans cet asile de fous  – dans l’asile de fous. Ah oui, nous avons fait bloc. Je ne sais pas moi c’est une drôle de … dans l’asile et ensuite à l’école, bon, parce que j’ai rencontré à l’école, j’ai rencontré des gars. Il y avait par exemple un garçon de Cysoing, un garçon de Chéreng qui étaient là. Il y avait [9:00] François Philippe, fils du maire de …  du notaire de Cysoing et il y avait un Delmasure dont les parents étaient industriels. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs du Nord là. Et puis tout le monde veut, enfin, une grande partie volontaire tout au moins parmi les jeunes. Parmi les militaires Norvège et ainsi de suite, beaucoup sont revenus en France, hein. [9:30]

Oh, il y avait toutes sortes. Et quand nous sommes retrouvés à Patriotic School par exemple Jacques Bell, Jacques Bell qui est parti … qui est décédé malheureusement il y a un an et demi,  Jacques Bell lui est parti de de la région bordelaise. Il y en a qui, [10:00] un petit peu de tout …  mais, mais pratiquement tous dans le même …  Premièrement ne sachant pas, la plupart ne savaient pas que De Gaulle avait lancé un appel. Et ceux qui le savaient, l’avaient peut-être entendu ou en entendu parler, ne savait pas exactement pour la raison pour laquelle ils partaient. Faut pas … moi bon personnellement je ne suis pas parti de Douarnenez avec l’attention de rejoindre De Gaulle dit immédiatement. Bon, [10:30] c’était surtout éviter les Allemands et du fait qu’il y avait quand même eu un appel, mais sans être certain de de la suite qui sera donnée à cet appel parce que, il faut reconnaître que les problèmes ont été … il avait beaucoup de problèmes pour former les Forces Françaises Libres.

C’est évident oui. Donc vous êtes pris en charge, d’abord par l’armée anglaise –  anglaise, oui[11:00]  et les interrogatoires, c’était l’armée anglaise qui vous les faisait passer …

Il y avait de l’armée, il y avait armée et civils. Alors exactement, des interprètes premièrement – oui, oui – on ne sait pas si c’était un service spécial de … je ne sais pas – de toute façon, c’était probablement un service de contre-espionnageà mon avis oui, à mon avis oui  – parce qu’ils voulaient faire le tri  – ils voulaient faire le tri  – oui. Donc vous avez été sélectionné alors nous avons été sélectionnés.

Eh bien, c’était le transfert à l’Olympia, transfert à l’Olympia. Donc à Londres. A Londres. Ceux qui étaient volontaires se retrouvaient à l’Olympia pour la constitution des dossiers.

Nous n’avions aucun papier, enfin, si, [12:00]  j’avais quand même ma carte d’identité. mais la constitution des dossiers a demandé près d’un mois et demi, deux mois. C’est d’ailleurs ce qui explique la date de signature des engagements, mais en réalité, nous étions volontaires depuis le premier juillet. Nous avons tous été inscrits pour le premier juillet, [12:30] mais nous n’avons signé les dossiers qu’au mois de septembre ou quelque chose comme ça. D’ailleurs c’est marqué sur les papiers, mais enfin …
Et alors là évidemment, il y a le groupe que vous avez sur la photo. Nous sommes retrouvés là ensemble. Bon il y avait des nordistes, il y avait des bretons, il y avait un peu tout là-dedans. et puis ça ça a été l’entraînement.

Aprèsaprès après parce que les dossiers ont été constitués à l’Olympia. D’accord. Et quand l’engagement a été pris et l’affectation pratiquement décidée en somme, par exemple moi j’ai été versée à l’artillerie, automatiquement le groupe que vous voyez là c’était l’ossature de l’artillerie des FFL .

Oui, oui. Enfin moi personnellement, j’ai tout de suite été affecté pratiquement à la mécanique et aux camions. Par exemple pour le défilé du 14 juillet, puisque le 14 juillet nous étions encore en civil, le défilé du 14 juillet, moi je me souviens avoir conduit le groupe de Delville à Londres, [14:00] ce qui n’était pas évident non plus parce que c’était la première fois que il fallait rouler à gauche, et c’était c’est aventure quand même.

Ah oui, oui, oui, et je suis parti directement, pratiquement avec le même camion que celui que j’avais conduit à Dinard.

Nous avons vu De Gaulle, [14:30] sans savoir exactement qui c’était. Ah oui. Sans le savoir parce que nous avons été …  bon,  il y avait … premièrement il y avait pas mal de troupes anglaises malgré tout qui surveillaient, et puis c’était le défilé. Premièrement il y avait les chasseurs, il y avait la Légion étrangère, et il y avait les FFL en civil, les nouveaux engagés en civil.

Mais alors un accueil chaleureux de la part des [15:00] Anglais et pratiquement tout au moins pour les civils, pratiquement tous accueillis dans une famille le soir du 14 juillet.

Non, non. Mais qu’est ce vous voulez, nous étions Free French comme on dit.

Donc voilà versé donc dans[15:30] l’artillerie –  et spécialiste …

Ben oui euh, spécialiste, enfin, j’étais parti comme chauffeur en somme, c’était après mon escapade de Sainghin, pour moi, j’étais chauffeur qualifié. puisque arrivant en Angleterre, dès que nous avons perçu le matériel, j’ai été délégué comme instructeur en école de conduite. J’étais moniteur en somme de,  [16:00] je ne dirais pas autoécole, mais, c’était l’armée. Et voilà.

Aux alentours du 20 juillet, oui. – assez viteoui, assez vite.

Oui, [16:30] nous étions engagés dans les FFL.

Avant le départ, avant le départ nous avons, premièrement dans le courant du mois d’août, certains par exemple, qui sont sur la photo que je vous ai fait voir, dont Grasberg, ont été récupéré par le commandant Dubois, enfin qui était capitaine à ce moment-là, [17:00] par le commandant Dubois pour former une … pour former un, comment je vais dire, une équipe pour descendre sur l’Afrique, à ce moment-là sur Dakar tout au moins. Et le commandant Dubois s’occupait de sélectionner des gars et le Grasberg est parti avec lui. Donc il y a eu un départ, ça doit être fin août pour l’Angleterre 1 , le premier départ. [17:30] Ensuite il y en a eu un au mois de … que je ne dise pas de bêtises, il y en a eu un dans le mois de mars-avril 41. Et nous c’était le troisième départ après la formation de …  pratiquement le dernier départ qu’il y a eu d’Afrique, enfin d’Angleterre.

Troisième départ qui a qui a eu lieu donc en – [18:00] en 41septembre 41septembre 41 .

De l’instruction, de l’école à feu. Et alors des…,  comment je vais dire, des renforts pour les bombardements, quand y avait des bombardements, parce que c’était le Blitz à ce moment-là. Nous allions pour donner un coup de main [18:30] et des, enfin, en somme une partie en défense passive si vous voulez.

Holding camp, hein, Holding et Delville c’est la même chose. C’étaient deux camps militaires. Et Camberley. Camberley.  

Oui, nous avons passé le …

Et bien les Anglais, contrairement à la France, les Anglais vous faisaient passer le Conseil de révision, vous faisaient marcher, mais vous gardiez le pantalon. Torse nu, euh enfin, examen thoracique et ainsi de suite. Torse nu et vous gardiez le pantalon, et pieds nus. Et vous marchiez. Bon il y en avait qui avaient les pieds plats ou n’importe, qui marchaient en canard. Ces gars-là étaient mis sur le côté [19:30] et, dans l’équipe qui est passée avec moi, il y en a un qui claudiquait légèrement et il s’appelait Hervé Monjaret 2 .

Oui, alors, à ce moment-là nous étions sous la coupe du Docteur Bristol, et le Docteur Bristol l’a mis sur, enfin, [20:00] ne lui a pas donné l’autorisation de partir pour l’Afrique. Donc Hervé Monjaret a été mis sur le côté. Par contre moi, malgré ce que j’avais, du fait que j’avais le pantalon,  il ne s’est rendu compte de rien.

Ben, un mollet en moins. Voilà. Il n’y a pas de doute.

Et, quand il y a eu le départ pour l’Afrique, Hervé Monjaret n’a pas été accepté avec nous, pour une raison, [20:30] c’est que, il était inapte en somme au service.

Il boitait légèrement, et moi je l’ai su après : Bon, nous sommes partis en Afrique en 41 et Hervé Monjaret ne nous a pas accompagnés. Et quand j’ai revu son frère en Afrique il était sans nouvelles de son frère, hein. Constant, avec qui je suis encore en liaison d’ailleurs, était sans nouvelles de son frère et nous avons appris [21:00] par la suite qu’Hervé Monjaret, sous le nom de Joseph Legoff avait été autorisé par le Docteur Bristol à prendre des cours de radio et de parachutisme, et il était devenu le, comment je vais dire, le radio du Jean Moulin à Caluire.

Il a été arrêté avec Jean Moulin.

[21:30] Ah si, si, il est revenu. Il est décédé il y a une dizaine d’années, sept-huit ans 3 .

Oui, en Angleterre, j’étais bon pour le départ en Afrique. Et malheureusement, à l’arrivée à Pointe-Noire, quand nous avons quitté la tenue militaire, [22:00] le short … Pour mettre le short, on s’est aperçu que j’étais pas normal, et puis …

À ce moment-là, j’ai été, bon, j’ai vu partir mes camarades, et moi j’ai été affecté à la batterie de côte numéro 3 avec le capitaine Chaille 4.


 Notes complémentaires

  1. comprendre ‘pour l’Afrique’ ↩︎
  2. Joseph Marie Monjaret, dit ‘Hervé’, frère de Constant Monjaret ↩︎
  3. décédé en décembre 1995 ↩︎
  4. Orthographe non confirmée, pas encore retrouvé dans les archives ↩︎